Attention : n’ouvrez pas ce livre…

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Le 14 octobre 2011 par Jean-François Dortier

Si vous avez quelque chose d’important à faire ce week end, n’ouvrez pas le roman de Delphine le Vigan Rien ne s’oppose à la nuit. Vous ne pourrez pas le refermer. Si vous êtes d’humeur gaie et enjouée, ne l’ouvrez surtout pas ! Si vous devez recevoir des amis, de la famille : ne l’ouvrez pas ! Mais si vous voulez lire un chef d’œuvre. C’est le moment.

Rien ne s’oppose à la nuit raconte la vie de Lucile, la mère de l’auteur (c’est elle, sur la couverture du livre).

L’histoire commence avec Liane et Georges, les parents de Lucile et grands parents de l’auteur. Il se sont rencontrés dans les années quarante, se sont séduits, se sont aimés, se sont mariés. Georges d’abord journaliste a monté son agence de publicité. N’étant pas un génie des affaires, les fins de mois seront toujours été difficile à la maison. Liane est une femme lumineuse, une mère poule rayonnante, qui rêvait d’être entourée d’enfants. Elle n’était jamais aussi radieuse que quand son ventre s’arrondissait (elle aura huit enfants).  Malgré les soucis financiers, la famille est débordante de vie, de rires, de dynamisme. Delphine le Vigan a réussi admirablement à recréer l’ambiance qui règne dans cette famille nombreuse, comme ces grandes réunions, l’été dans la maison de famille, à Pierremont dans l’Yonne.

Solitaire et rêveuse

Au sein de la fratrie, Lucile reste une enfant solitaire et rêveuse, qui se tient toujours à l’écart des autres. Cette distance avec le monde qui l’entoure se lit même dans son regard. Elle est d’une beauté hypnotique. A 10 ans déjà, c’était une vedette dans Paris, elle avait déjà été sélectionnée pour figurer sur des magazines de mode. Et son visage avait été affiché sur les murs du métro.

«  Lucile passait des heures à rêver, allongée sur son lit, à inventer son avenir, un avenir qu’elle imaginait avant tout sans contraintes, sans rien qui pût l’empêcher ni la retenir. Quand elle pensait aux heures futures. Lucile ne songeait pas à un homme ni à un métier. Aucun prince, aucune réussite ne peuplaient ses rêves, simplement le temps étalé devant elle dont elle pouvait disposer selon sa volonté propre, un temps contemplatif qui la tiendrait à l’abri ».

Premières lézardes

Mais des failles vont venir lézarder cette famille modèle. Il y aura d’abord la mort tragique d’Antonin, le  petit frère  tombé au fond d’un puit. Quelques temps plus tard, Georges revient à la maison avec Jean-Marc, un garçon d’une dizaine d’années, retiré de sa famille pour mauvais traitement et adopté par Georges et Liane (comme pour remplacer leur enfant disparu!). Le passage du livre sur l’arrivée de Jean Marc, un soir d’hiver, et le regard des enfants sur ce nouveau venu est admirable. Quelques années plus tard Jean-Marc mourra lui aussi tragiquement. Il n’avait pas encore 16 ans. Puis il y aura la naissance de Tom, le petit dernier. Il est trisomique, mais la petite tribu fera bloc autour de lui.

Quand vient l’adolescence, Lucile se recroqueville de plus en plus sur elle-même. Elle refuse désormais de poser pour les séances photos. Puis la faille va s’approfondir. Au départ cela ressemble à un schéma typique. Les enfants grandissent, entrent dans l’âge de l’affirmation de soi, la meute familiale se  fissure. Nous sommes dans les années 1960 et la rupture est exacerbée par le fossé qui fait se heurter les générations, durant ces années là. L’image sacrée du père, jusque là Seigneur familial s’effiloche et perd de son prestige. Mais il y a plus grave : Georges a cherché à abuser de sa fille…

Quand vient la rencontre avec Gabriel,c’est pour Lucile, qui vient d’avoir 18 ans, l’occasion de bâtir une nouvelle vie. Elle le croira pendant un temps :

« Lucile était amoureuse de Gabriel, le temps était venu pour elle de quitter sa famille, de fonder la sienne, de vivre une vie de dame. Loin de l’effervescence, elle allait pouvoir inventer son propre espace et se mouvoir dans le silence. Jusqu’ ce jour, elle n’avait jamais su imaginer son avenir, lui attribuer une forme, une couleur. Elle n’avait jamais su se projeter dans une autre vie, inventer de nouveaux paysages. Parfois elle en avait conclu que ses rêves étaient si grands, si démesurés, qu’ils n’entraient pas dans sa propre tête.

Dans l’effervescence des préparatifs qui occupaient maintenant presque tout son espace mental – fiançailles, mariage, appartement à louer – Lucile s’arrêtait parfois, les yeux dans le vague, se laissait envahir par une sensation de douceur, de liberté. De tous ses frères et sœurs, elle serait la première a partir. Elle ouvrait la voie des lendemains. Pour la première fois, celle-ci lui apparaissait distinctement, claire et lumineuses » (p. 168).

La suite est celle de  l’histoire est celle de Lucile adulte : son mariage, la naissance de ces deux filles, son divorce et l’entrée progressive dans  la folie (Lucile  souffrait de trouble bipolaire)…  jusqu’à ce jour de 2008 où elle s’est suicidée.

Si vous avez des choses importantes à faire (comme moi le week-end dernier), n’ouvrez pas ce livre…


4 commentaires »

  1. La peur n’évite pas le danger comme disait ma grand mère. Voilà ce que m’inspire votre recommandation.

  2. bosg dit :

    J’ai ouvert ce livre et j’ai eu bien du mal à …. ne pas abandonner la lecture en cours de route. Le style est très moyen et c’est du pathos du début à la fin. Que signifie ce déballage de suicides, d’anorexies, de folies, de viols? de pédophilies?
    Pas très passionnant!

  3. Fbdj dit :

    Il faut être insensible pour ne pas comprendre qu’écrire est une thérapie dont Delphine de Vigan, à juste titre, avait besoin. C’est aussi une histoire émouvante,celle de deux jeunes femmes qui se battent pour ne pas abandonner leur mère bipolaire, sous l’emprise de drogues et de démons.

    S’il est à bien des égards, rempli de tristesse,il fait aussi sourire. C’est un livre éblouissant, qui rappelle à chacun le rôle de son existence, notre responsabilité vis à vis de nos enfants.
    La vie n’est pas faîte que de paillette.

  4. Beypen dit :

    Un commentaire précédent me donne envie de dire que la vie d’une famille, pour peu que l’on suive son cours sur deux ou trois générations, n’est pas toujours lisse. Souvent même loin de là.
    En parler n’est une offense pour personne, c’est dire la vie, c’est écrire une histoire vraie. J’ai trouvé le livre de Delphine de Vigan d’une grande force, j’ai pensé à l’énorme travail de reconstruction qu’il représentait, au témoignage d’amour et de vérité qu’il était. Partager cette histoire, même à bout de souffle parfois, est un cadeau pour elle-même sans doute, comme une délivrance sous l’effet d’une puissante clarification, mais aussi un cadeau pour sa mère, digne au delà d’une certaine déchéance subie, pour sa fratrie peut-être et pour nous, lecteur-isses.J’ai à peine posé le livre, happé en trois jours durant. Félicitations Delphine!

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