C’est dégueulasse ! La morale dans les tripes.

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Le 25 décembre 2010 par Jean-François Dortier

Lady Macbeth, hantée par le souvenir de son crime, voit ressurgir des tâches de sang sur ses mains

Les idées morales ne sont pas abstraites et désincarnées. Le bien et le mal ont une forme, une couleur, un goût, une odeur et même une taille. Les émotions morales suscitent des réactions de goût et de dégoût. Et la théorie de la cognition incarnée peut s’appliquer aussi à la conscience morale et aux idées de bien et de mal.

Dans la pièce de William Shakespeare, Macbeth, le roi et son épouse lady Macbeth sont arrivés sur le trône après un complot ayant conduit au meurtre du roi Ducan et à ses gardes. Une fois leur crime commis, les deux époux sont rongés par la honte et la culpabilité. Dans l’une des scènes les plus célèbres de la pièce on voit Lady Macbeth chercher à se laver de façon obsessionnelle des tâches de sang imaginaires qui apparaissent sur ces mains.

Pourquoi les gens qui ont commis des fautes ou se sentent coupables éprouvent-ils le besoin de laver ? Quels liens étranges se nouent dans les tréfonds de l’esprit humain entre la faute morale et la saleté ? Ou inversement, entre la pureté de l’esprit et la propreté du corps ?

L’effet Macbeth

Les psychologues appellent l’« effet Macbeth » le fait d’éprouver le besoin se purifier le corps après avoir commis un un péché ou une faute. Comme si le fait de se laver pouvait nous aider à nous blanchir d’une souillure mentale. Des chercheurs tentent aujourd’hui d’explorer ce phénomène qui relie les mains propres et le cœur pur. Les psychologues Chen-Bo Zhong et Katie Liljenquist ont mené l’expérience suivante. Des volontaires racontent un événement de leur vie où ils pensent avoir commis une faute morale. Ensuite, une partie de ces personnes sont invités à aller acheter des produits au supermarché à partir d’une liste apprise (ils croient participer à une expérience sur la mémoire). On constate alors que les personnes qui viennent de se remémorer une faute ont tendance à aller d’abord chercher du savon ou du bain douche plutôt que des produits d’alimentation. De même si on leur demande de choisir un cadeau parmi plusieurs objets, les sujets choisissent de préférence un produit d’entretien corporel plutôt qu’un autre objet.

D’autres expériences similaires ont réussi à montrer expérimentalement l’existence d’un « effet Macbeth ».

La correspondance entre propreté physique et pureté morale, se retrouve dans le vocabulaire courant. « cœur pur », « mains blanches » ou « mains sales », « c’est du propre ! » etc.  mille formules témoigne du fort ancrage mental entre les idées morales sur des impressions corporelles.

Le vocabulaire de tous les jours assimile spontanément « bonté » et « pureté ». On dit que les mauvaises actions « salissent » son auteur, qu’une personne innocente est « pure », les actions indignes relèvent de la « sale besogne » ;

A bien y regarder les notions de bien et de mal sont associées à au moins trois ou quatre caractéristiques physiques et corporelles :

• Le bien est propre, le mal est sale. La morale suscite des réactions de goût et le dégoût liés aux notions de saleté ou propreté (ou de pureté vs souillure). Les mots « dégueulasse », « dégoutant », s’emploie autant parler d’une chose « sale » ou bien d’un comportement ignoble et révoltant. De même pour les « saloperies ».

• La morale à une odeur. Les notions de bien et de mal sont associées à l’odorat : les mots « puant », « infect », « nauséabond » servent autant à qualifier une odeur qu’une action immorale et malsaine.

• La morale à une couleur. Le bien est blanc, le mal est noir. Le blanc désigne le bien : « il est blanc comme neige » ; « noirceur » est synonyme de « méchanceté »

• La morale à une taille. Le bien est grand, le mal est petit : on parle de « grandeur d’âme » ou de d’élévation spirituelle, de  « petitesse » ou de « bassesse » pour la mesquinerie.

• Le bien est beau, le mal est laid : on parle d’une « belle âme », de la beauté d’un geste (à propos d’une action généreuse). Inversement « vilain », « laid », « moche », servent autant à la qualification esthétique que morale.

Les religions nous offrent un autre témoignage de l’inscription corporelle des idées morales.  Chez les chrétiens, l’eau sert à bénir et à purifier l’âme. Chez les baptises (une des multiples variantes du protestantisme), le baptême consiste dans une immersion totale du converti. Dans le bouddhisme, l’islam, le shintô et de nombreuses autres religions l’eau a une fonction de purification morale. Tout se passe symboliquement comme si le fait de se laver le corps contribuait aussi à purifier son âme. Dans la symbolique religieuse, la « sainteté » est associée à la « pureté ». L’anthropologue Mary Douglas a écrit sur le sujet un livre classique : De la souillure (1967).

La propreté n’est pas un fait humain : les chats et les chiens se lèchent les poils pour se maintenir propre, les oiseaux de nettoient les plumes, les singes s’épouillent entre eux. Même la mouche se frotte les yeux et le visage avec ses petites pattes, pour les maintenir propres. Sans doute éprouvent-ils des émotions associées de goût pour la propreté. Chez l’humain, la propreté prend également une dimension morale.

Odeur, couleur, taille, goût et dégoût, les idées morales ont une indiscutable inscription corporelle et perceptive. Voilà autant d’argument en faveur de la théorie de la cognition incarnée. Les idées concrètes – de citron ou de chien  – ont un support organique et corporel. Mais les idées de bien et de mal aussi.


3 commentaires »

  1. simony gabriel dit :

    très bel article que je fais suivre d’une remarque de linguistique .

    La langue ne se contente pas de nommer les qualités morales ou les défauts ,il lui faut leur attribuer de multiples équivalents de sorte que qualités et défauts apparaissent comme des choses sensibles , des choses mêmes.
    par quel moyen y arrive-t-elle ?
    Je qualifie un être de « dégueulasse  » et par là même ,je me sers du procédé de LA METAPHORE :je le déclare immoral (comme) . un dégueulasse
    bien à vous
    gabriel simony
    nb la plupart de vos exemples obéissent à ce procédé

  2. jalexis dit :

    La noirceur étant la couleur de notre coté obscur, je me suis toujours demandé comment cela se traduisait dans les langues africaines….ou dans les langues asiatiques où le blanc sert au deuil…

  3. Mickael dit :

    Intéressant ! D’ailleurs après un acte d’onanisme il est assez courant d’aller prendre une douche. On retrouve aussi cela dans l’ancien testament, où il est nécessaire de faire les ablutions et de laver les vêtements que le liquide séminal ou les menstruations de la femme auraient par mégarde touché.

    C’est le symbole qui est d’ailleurs. L’eau comme vous le dites sert à bénir et à purifier mais elle sert surtout à transformer. Nous ne sommes plus le même une fois que nous sommes passés sous l’eau du baptême, ou même après une simple douche. Pour rejoindre certaines théories géniales et fantaisistes de Groddeck, l’eau permettrait de laver les différents Ça qui nous composent et nous empêchent d’être unis. L’eau nous réconcilie en partie avec nous-même.
    Symboliquement l’eau n’a pas d’odeur, n’a pas de forme, de couleur, ou de goût, elle est la pureté même. Chez les mystiques elle correspondrait à l’âme contenu dans le corps. Mais mettez de la grenadine et l’eau se transforme, elle perd sa pureté. Tout comme les milles facettes de notre esprit et de notre corps priveraient l’âme de sa pureté, ou du moins l’empêcheraient de se reconnaître elle-même.

    J’aime beaucoup votre blog, malheureusement il y manque l’étude de la métaphysique si cher à Schopenhauer. Qu’est-ce qui nous sépare de l’animal demande-t-il : la capacité de s’étonner de notre propre existence. La possibilité de voir le monde comme un enfant, comme un poète. Chaque chose nous parle, nous allons alors contre le jugement intuitif stéréotypé (Kahneman, 2001)et tendons vers un étonnement constant de ce qui nous entoure. Rien n’est garantie. Nous allons contre l’intellect qui voit les autres et les choses comme des moyens plutôt que comme des fins (la chose en soi). Nous tentons de dépasser ce cerveau qui nous enferme dans des schémas réducteurs et nous empêche de part sa constante activité d’anticipation à être dans le présent et à ressentir ce qui vraiment nous agit (Petitmangin, 2002; Groddeck, 1901).

    Votre quatrième question est bien noble, et mérite de s’y arrêter.

    Mickaël

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