Le problème du castor (3) : intelligence ou instinct ?

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Le 31 octobre 2010 par Jean-François Dortier

Le dernier chapitre du livre de L. Morgan Le Castor américain et ses ouvrages, est  consacré à « la psychologie animale ». C’est le but ultime, et peut-être premier de sa réflexion. Est ce que le castor anticipe ou agit-il par instinct ? L. Morgan aborde la question avec beaucoup de méthode. Il commence d’abord par rappeler que « la croyance populaire a toujours devancer les métaphysiciens en ce qui concerne l’esprit dont serait doté ou non les animaux ». Autrement dit : ceux qui vivent au contact des animaux sont souvent plus avisés que les philosophes qui dissertent sur les animaux sans jamais les côtoyer. Puis il récuse l’opposition sommaire entre « instinct animal » et « conscience humaine ». C’est une opposition trop globale. Tout est affaire de degré :  « Reconnaître chez les êtres non doué de parle l’existence d’une pensée consciente de même nature que celle de l’homme, mais à un degré plus faible, serait-ce abaisser la dignité de l’homme ? » (p. 251). L. Morgan s’engage alors dans une discussion générale sur les aptitudes animales. Il constate que ceux ci, ayant un cerveau comme les humains, ont sans doute des capacités comparables, même à un degré inférieur. Nombres d’animaux doivent donc avoir des émotions, de la mémoire et  des formes de raisonnement élémentaires. « On dit qu’un chien, quand il cherche à retrouver son maître grâce à son flaire, prendra, arrivé à un embranchement, une première route; s’il n’y trouve pas l’odeur de son maître il fera demi-tour et s’engagera sur la deuxième route sans même flairer le sol. Il a déduit que son maître, à défaut du premier chemin, avait dû emprunter l’autre. » p. 258).

Vient alors le cas du Castor. Pour Morgan, il ne fait pas de doute qu’il possède des capacités de jugement et d’anticipation.

« Les ouvrages du castor illustrent de façon très intéressante son intelligence et sa capacité à raisonner. Abattre un arbre pour atteindre ses branches exige une série de considérations d’un caractère remarquable. Un castor qui voit un bouleau aux branches généreuses, éminemment désirable à ses yeux, doit se dire :“ Si je coupe cet arbre avec mes dents, il tombera, et alors ses branches assureront ma subsistance tout l’hiver“. Il doit cependant pense plus avant, vérifier si l’arbre est suffisamment proche de son étang, ou d’un canal y menant, afin de transporter ses branches coupées en tronçons jusqu’à la hutte. Ne pas envisager ces contingences l’exposerait à  travailler pour rien. ». Il s’agit bien là « d’une  série de raisonnement impossibles à distingue de ceux qui ont lieu dans l’esprit humain ».

Le tracer d’un canal qui mène de l’étang jusqu’au hauteur où se trouve le bois, suppose aussi, selon L. Morgan, des capacités d’analyse et  d’anticipation. Il faut choisir le bon trajet avant de commencer, évaluer la faisabilité, sinon l’animal construirait à l’aveugle des canaux sans savoir où il mène, tomberait sur des obstacles imprévus, devrait s’obstiner, ou recommencer, etc. ce qui n’est manifestement pas le cas. En conséquence « on ne peut s’empêche de penser que ces avantages ont été anticipés. »

L. Morgan plaide donc pour l’existence d’une véritable anticipation et raisonnement chez le castor.

Rencontre avec Darwin

En 1871, L. Morgan en voyage en Europe a rencontré Charles Darwin chez lui. Et les deux hommes n’ont pas manqué d’aborder la question du castor.[1], Comme Morgan, Darwin pense que les animaux sont d’intelligent et capable de raisonnement.  Lors de lors rencontre, Darwin justement en train de préparer son livre The Descent of man, son deuxième grand livre sur l’évolution. Toute la première partie est consacrée à établir la continuité entre les animaux et les humains. Et dans un passage Darwin ne manque pas d’évoquer le cas castor. Voilà, en substance, de qu’en dit Darwin.

– On a l’habitude d’opposer intelligence (humaine) et instinct (animal), alors qu’il y a continuité. Sur ce point Darwin est donc d’accord avec Morgan. Les humains, eux aussi possèdent des instincts ;  simplement ils en possèdent « un peu moins que n’en possèdent les animaux de la série qui lui est la plus proche ». (p. 151)

– Un peu plus loin, il ajoute cette remarque très intéressante. « Cuvier soutenait que l’instinct et l’intelligence sont en raison inverse ; (…) Mais Pouchet, dans un article intéressant a montré qu’aune raison inverse de ce genre n’existe. Les insectes qui possèdent les instincts les plus remarquables sont certainement les plus intelligents ». Instinct et intelligence ne sont donc pas opposés. Certains animaux bâtisseurs, sont donc poussés par instincts à construire (des nids ou des barrages), mais il leur faut aussi beaucoup d’intelligence pour mettre en œuvre leur construction.

Et Darwin prend justement l’exemple du castor en se référant au livre de Morgan. « parmi les mammifères l’animal le plus remarquable pour ses instincts, à savoir le castor, est hautement intelligent, ainsi que l’admettent tous ceux qui ont lu l’excellent travail de M. Morgan » (p. 151).

Cependant Darwin, revient un peu plus loin sur le sujet et émet une objection. Comment savoir ce qui relève de la part de l’intelligence et de l’instinct dans la construction ? Une façon de le savoir d’élever des petits animaux éloignés de leurs parents pour voir s’ils vont se mettre spontanément à la construction. De même, il serait intéressant de voir si, au fil du temps son travil de construction s’améliore, ce qui montrerait qu’il apprend au fil de l’expérience. Or, écrit Darwin : « un castor, pour construire sa digue ou son canal, (…) font tout à fait aussi bien, dès le premier essai, qu’avec l’âge et l’expérience ».

Darwin affirme donc, mais sans citer vraiment ses sources, que le castor travail en grande partie sous l’emprise de l’instinct.

Alors qui a raison : L. Morgan qui attribue tout à la pensée  ou Darwin qui suggère que l’instinct jour tout de même un grand rôle ? Depuis les chercheurs ont tranché.  Des expériences d’élevage de Castor en captivité ont montré qu’en dehors de tout besoin, le castor est invariablement poussé à bâtir des barrages.

« L’instinct pour construire un barrage est si fort qu’un castor domestique, vivant ans une famille humaine, construira un barrage a travers la pièce avec des vêtements, des chaussures, des livres et tout ce qu’il pourra trouver. » (réf.)

Un autre argument est invoqué pour soutenir que le Castor agit par instinct. Si on fait étendre à l’animal un enregistrement d’eau courante, le castor va s’empresser d’aller colmater son barrage, même s’il n’est pas endommagé. Il ne ferait donc que réagir à un stimulus. Mais cet argument ne me convainc pas vraiment. Si on fait retentir une sirène incendie dans un immeuble, les gens vont se précipiter vers la sortie, même si ‘il n’y a pas de feu. Pourquoi n’en serait-il pas de même pour le castor ?

Conclusions provisoires

Le temps de conclusion est venu. Nous sommes partis d’une question. Certains animaux comme le castor qui semble agir en fonction une but lointain, le font-il par instinct pour par anticipation ? L. Morgan penchait pour la capacité l’anticipation. Darwin est plus circonspect (même s’il est tout à fait prêt à admettre que de telles capacités puisse exister. Les expériences récentes (réf. Wilson) pencheraient plutôt en faveur l’instinct. Tout cela va est de nature à conforter mon modèle de la « machine à idées ». Seuls les humains disposent de capacité d’anticipation. Je devrais être satisfait.  Et pourtant : il y a quelque chose qui cloche.

A ce stade de la réflexion, je penche plutôt pour la thèse suivante.

– Admettons que le castor soient poussé par instinct à construire des barrages, des huttes ou des canaux (comme les oiseaux). Des expériences semblent en tout cas le prouver.

– De même la construction de ses édifices peut se faire par accumulation élémentaire de bout de bois. Inutile donc de leur prêter une intelligence d’architecte.

– Mais certains arguments avancés par L. Morgan restent pertinents: il faut que le castor choisissent des arbres à bonne distance, transporte les branches, les installent correctement. Et cela demande un peu de jugement et des anticipations, même partielle. Peut-être qu’il n’a pas une idée très précise du résultat final quand il amorce sa construction, mais il faut sans doute accorder à notre animal une certaine faculté d’anticipation. Et retenir même, cette idée forte retrouvée chez Darwin : La puissance de l’instinct bâtisseur exigence des capacités d’apprentissage et d’intelligence.

Pour aller plus loin, il faudrait se pencher sur les expériences qui semblent avoir été mené sur les castors élevés en captivité et hors de modèles parentaux.  Construisent –ils vraiment des barrages « parfaits » ou plutôt des embryons grossiers ?

Un problème du même type se pose à propos de la chasse et des animaux prédateurs. La chasse (du loup, du loin) requiert sans doute à la fois de l’instinct, mais aussi d’intelligence et des capacités d’apprentissage.


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