(5) Messaline, une femme émancipée au temps des romains

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Le 8 octobre 2010 par Jean-François Dortier

Paul Veyne m’a fait un beau petit cadeau. Voilà quelques temps, je l’avais contacté pour l’interroger sur l’individu dans l’Antiquité gréco-romaine. Je lui ai posé la question suivante.

« On lit partout chez les sociologues et philosophes que l’individu est une invention de l’Occident moderne, qui aurait émergé à la Renaissance. Auparavant, les gens n’aurait pas connu l’individualité. Ils n’auraient  fait que baigner dans un monde « traditionnel » où l’individu est englué dans des formes sociales (religieuses, familiales, politiques, communautaires), qui l’englobent, le dominent, l’étouffent et le contraignent. J’ai longtemps cru à cela moi aussi. Mais aujourd’hui, je doute. Je ne cesse de me dire qu’il ne faut pas  confondre l’individualisme – comme valeur – qui est sans doute d’époque récente, avec l’individu, qui lui, est bien présent dans les sociétés antiques.

Quand je lis vos livres sur Rome, je ne cesse de rencontrer des individus : de jeunes hommes ambitieux qui rêvent de gloire; des esclaves qui souhaitent sortir de leur condition; des femmes qui, bien que sous la tutelle de leur mari, les trompe et les manipulent, se comportent en maîtresse-femmes; des artisans ou commerçant qui gèrent leurs affaires personnelles, etc.
Voilà donc ma question, cher Paul Veyne : Et vous, qu’en pensez-vous ? Croyez vous qu’il existe bien des individus à Rome ? Je n’ai pas trouvé de texte dans votre œuvre qui parle explicitement de cela. J’aimerais bien avoir votre avis là dessus. »

J’ai enfin reçu sa réponse mardi dernier (cela tombait le 5 octobre, le jour de mon anniversaire) sous la forme d’une grande enveloppe blanche venue d’un petit village du Gard où habite Paul Veyne.  A l’intérieur de l’enveloppe se trouvait une charmante lettre accompagnée de deux petits cadeaux. Son livre sur Foucault (Foucault, sa pensée, sa personne) agrémenté d’une gentille dédicace (« Pour Jean François Dortier qui dirige une grande et utile revue » (je rosi de plaisir). Il me renvoie à un note (p. 34) où il est question de l’individualisme (j’y reviendrais). L’enveloppe contenait aussi un autre petit cadeau : un article tapé à une machine a écrire et corrigé de sa main. Cela date de septembre 1980, et est titré « Messaline ou l’amour fou ». Et ce texte, pour le moins décoiffant, dévoile un visage pour le moins inattendu de la femme romaine.

• Une « première dame » dévergondée

Messaline était une jeune fille de la haute aristocratie romaine qui fut mariée à l’âge de 15 ans à l’empereur Claude, alors quinquagénaire. « Entre les deux époux les relations évoluèrent vite : deux enfants, un garçon et une fille, puis chambre à part et vie séparée ». Et P. Veyne ajoute ce point essentiel : « les mœurs étaient aussi libres dans l’aristocratique romaine qu’au XVIIIème siècle ».

La suite le confirme. La jeune et belle Messaline était une sacrée polissonne. Et pas mal de romains sont passés dans son lit. « Elle partageait quelquefois le lit de Claude ; on ne tarda pas à dire dans Rome qu’elle partageait aussi celui de tous ses favoris ». Et parmi ses amants de passage, P. Veyne cite « un haut fonctionnaire, un grand seigneur, un sénateur, un jeune chevalier d’une grande beauté, un chanteur d’opéra (…) et aussi un médecin célèbre sous ses dons littéraire et pour avoir fondé une secte médicale hérétique ». Sans parler d’un temps en temps un gladiateur qui l’avait impressionné sur l’arène.

Comment était-ce possible ? Paul Veyne donne des précisions sur les modes de vie du couple.  Il s’étaient installé dans le palais, qui dominait le Forum roman : « Claude vivait dans ses appartements avec son harem de concubines et Messaline menait de son côté la vie élégante en compagnie de ses favoris, seigneurs, gens de théâtre et célébrités diverses ».

La valse des amants ne suffisait pourtant pas à satisfaire de Messaline, la nymphomane si on en croit cet incroyable épisode. Un jour, dit-on, Messaline s’est rendue en cachette dans un bordel pour se livrer à un curieux concours avec une prostituée : il s’agissait de savoir combien elle pourrait subir de « mâles assauts » (« mâles assauts » du Paul Veyne tout craché !) en une journée. Et l’histoire dit qu’elle aurait remporté son concours après avoir couché avec 25 types à la suite !

Evidemment rien ne permet d’authentifier l’anecdote, mais que le fait que l’on puisse raconter cela dans Rome, en dit long sur les mœurs de l’époque ! A la fois sur le dévergondage des élites, mais aussi la liberté de manœuvre de l’impératrice.

Claude, le mari, n’était pas particulièrement regardant sur les frasques de Messaline, même si cela nuisait quand même à sa réputation. Et c’est une autre affaire, qui va conduire à la perte de la jeune épouse.

Une jour, Messaline tomba éperdument amoureuse d’un beau seigneur, nommé Sillius, «  et qu’on tenait pour le plus beau des romains ». Et ce fut entre eux vraiment un amour fou et passionné. Silius était marié. Il divorça, alors que rien ne l’obligeait. Messaline, de son côté «  stupéfia les contemporains comme elle nous stupéfie : elle divorça de Claude et se remaria avec son Silius ». Le  tout à l’insu de son mari !

Cela mérite des explications. A Rome, le mariage n’avait pas vraiment de statut sacré. Le mariage n’était un acte public. On pouvait se marier en privé sans en informer personne. Seul contait l’engagement réciproque des époux. Il n’y avait ni contrat ni rite solennelles (ou du moins il étaient facultatifs).

Le fait d’être marié et de vivre ensemble n’empêchait pas monsieur d’avoir des maîtresses et madame des amants (comme chez les bourgeois du 19ème siècle) : l’essentiel était de ne pas trop l’étaler ouvertement.

Le divorce a Rome

On pouvait aussi divorcer tout aussi facilement. « Il suffisait même qu’un seul des époux le veuille, si bien que, lorsqu’une femme en colère quittait le logis, les juristes, embarrassés, se demandaient si c’était là un divorce,  et ils répondaient que le seul moyen de le savoir était de lui demander si on intention avait été de divorcer . » Messaline divorça donc à l’insu de son mari ! Pourquoi alors qu’elle aurait pu entretenir tous les deux une liaison que nul n’aurait songer à condamner : par amour simplement, pour se témoigner l’un  à l’autre leur amour exclusif. Messaline, écrit P. Veyne « ne fit rien de plus que ce que faisaient toute ses contemporaines, qu’elles fussent nobles ou simples plébéiennes : elles divorçaient quand un autre homme leur plaisait ».

Ce n’est pas les mœurs licencieuses et ses amants qui vont amener Claude à réagir, ni le fait d’avoir un amant caché. Ni même le divorce, qui était admis. Mais en divorçant à l’insu de son mari, Massaline dépassait les bornes. La réputation de l’empereur commençait à être sévèrement entachée par cette affaire. Finalement, c’est pour crime de lèse majesté et conspiration que Messaline et Silius furent arrêtés et condamnés à mort.

L’affaire se conclu donc tragiquement. Messaline fut exécutée. Elle n’avait encore que 23  ans.

Que retenir de cet article, cher Paul Veyne ?

Femme objet, femme outils et femme émancipée.

La société romaine est souvent vues comme une société patriarcale. Le père règne en souverain absolu sa maison : sa femme, des enfants, ses domestiques. C’est une réalité du point de vue juridique : le droit public fait de la femme une subordonnée. Et les stéréotypes de l’époque la présente aussi comme une mineure, l’égale d’un enfant, qui n’a pas l’âge de raison et serait incapable de prendre de bonnes décisions.

Mais je retiens ceci : le cas de Messaline montre qu’il ne faut pas confondre le statut et la condition réelle des femmes. Toute d’abord, la femme mariée se devait de devenir des « matrones ». Une matrone est une mère de famille qui a du pouvoir et des responsabilités à l’intérieur de la maisonnée. Ces femmes, on l’a vue pouvaient divorcer assez librement. Elle ne se privait pas non plus d’avoir des amants.

L’image que Paul Veyne nous donne du couple romain est décoiffante. On imaginait les femmes sous la coupe d’une pater tout puissant, on découvre des femmes émancipées (même si le droit n’est pas en leur faveur).

Les stéréotypes de l’époque là représente commune « femme objet » ou plutôt dit Paul Veyne une « femme outil » totalement subordonnée, servile, instrumentalisée au service de son homme, Mais au delà de ce discours, il y a une toute autre réalité.


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