Murakami et le temps immobile

1

Le 15 décembre 2011 par Jean-François Dortier

Haruki Murakami est un auteur zen. Il a cette faculté rare de faire ralentir le temps. Comme Proust. Il décrit une feuille de laurier ou une goutte d’eau qui glisse le long de la vitre, et c’est trois pages de descriptions… Avec lui le temps passe plus doucement. Ses personnages évoluent lentement, passent beaucoup de temps à ne rien faire d’autre que d’attendre, rêvasser, méditer en fumant des cigarettes, en buvant un café ou en marchant le long d’une rivière.

J’avoue que dans certains de ces romans, j’ai trouvé tout de même que l’histoire n’avançait pas assez vite. Des romans fleuves au débit trop lent. Mais la plupart du temps, on se laisse bercer.

Par exemple dans son 1Q84 (son dernier opus en deux volumes), l’héroïne, elle s’appelle Aomamé, descend un escalier extérieur et traverse la chaussée en presque 10 pages !

En route, elle croise une araignée et cela donne ce très beau passage :

« L’escalier semblait n’être pratiquement jamais utilisé, et des toiles d’araignée s’y déployaient un peu partout. Les bestioles noires restaient cramponnées là, attendant avec une patience exemplaire l’arrivée de petites proies. Mais une araignée n’est sans doute pas conscience d’être spécialement patiente. Un style de vie où elle n’a d’autre faculté que de filer sa toile et de rester immobile à attendre ne constitue pas un choix pour elle. Sa vie se passe dans l’attente perpétuelle d’une proie, jusqu’à ce que s’épuise sa longévité et qu’elle finisse par mourir, toute racornie. Les araignées ne connaissent ni hésitation, ni désespoir, ni regret. Ni doute métaphysique, ni conflit moral. C’est ce qu’on suppose. Mais moi, pensait Aoamamé, je ne suis pas comme ça. Je dois atteindre mon objectif, et c’est bien pourquoi, depuis la voie express, n°3, je descend seule cet invraisemblable escalier, quelque par du côté de Sangenjaya – même si je déchire mon collant à cette occasion. J’arrache au passage les toiles de ces pauvres araignées et j’observe l’arbre à caoutchouc poussiéreux sur son balcon stupide.

Je bouge. Donc je suis ».

Ça valait le coup de le descendre lentement, cet escalier… Non ?

Takashi Murakami, my lonesome cowboy, 1998

Attention, ne pas confondre…

A part cela, il ne faut pas confondre l’écrivain Haruki Murakami, avec l’autre Murakami:  l’artiste Takashi Murakami, star mondiale de l’art contemporain et figure de prou du style « superflat » (mixte de manga, dessins animés, vidéos et sculptures). Ci-contre,; admirez la sculpture My lone cowboy de Murakami qui fut épargnée au yeux horrifiés de certains, lors de l’exposition polémique des oeuvres de l’artiste au château de Versailles, en 2010.


1 commentaire »

  1. pikkendorff dit :

    Exactement. Maitrise du temps. Bien vu.

    Cdt, Pikkendorff

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Inscrivez-vous à la newsletter

Rechercher dans ce blog