réveillon dans les étoiles

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Le 1 janvier 2010 par Jean-François Dortier

–        Tu reprends un peu de salade ?

Je sais qu’elle va dire oui. Sans un grand saladier remplis de laitue, scarole, batavia, une repas n’est pas repas pour elle.

Et ce soir, c’est une salade de mâche qui côtoie le plat d’huitre, un crabe, une bouteille de Bourgogne rouge et une chandelle. Nous sommes le 31 décembre 2009, c’est le réveillon du jour de l’an. Nous le fêtons cette année à la maison : en tête à tête. En fait, il faut dire que personne n’a pensé à nous a inviter et nous n’avons invité personne.

Mc est belle comme un cœur. Elle a mis une robe noire, s’est maquillée, porte un magnifique collier d’argent que nous avons acheté à Mourèze. Trente ans que je vis avec elle. Et elle m’intimide encore. De mon côté, il faut que j’assure. Le menu est prêt. Mais se pose la délicate question de la conversation. Quand on vit ensemble depuis si longtemps, il faut trouver de quoi alimenter la conversation quand on est en tête à tête et pas côte à côte devant un plateau télé.

Je devrais me débrouiller grâce à mes lectures du moment. Ce soir, ce sera « Cosmologie ». Voilà 15 jours, je suis plongé dans les livres d’astrophysique, le big bang, la formation des galaxies et des étoiles, la gravitation universelle. Ma nouvelle passion du moment. Ce qui m’a amené là ? Un grand projet en phase de démarrage. Je commence un livre sur la « Grande Histoire », que je vais écrire avec Edgar Morin.

Le premier chapitre porte sur l’histoire de l’univers. L’idée d’Edgar est que l’univers à une histoire. Cette histoire ne se réduit pas a un scénario connu en trois temps Naissance : big bang, vie l’expansion et mort. Non, c’est une vraie dramaturgie shakespearienne: avec des événements, des bifurcations et changements d’état, du chaos, des guerres et cataclysme, des destructions créatrices.

Il avait déjà bien expliqué cela dans la Nature de la nature, écrit il y a trente ans quand le scénario de la cosmologie commençait tout juste à s’imposer.

Pour le premier chapitre que je rédige en ce moment, j’ai voulu reprendre cette idée mais la mettre au goût du jour, en y intégrant les nouveaux développements de la cosmologie.

J’ai bien avancé dans la rédaction, même si je m’étais promis de terminer hier ; comme d’habitude je suis en retard. Mais le synopsis détaillé est terminé. Et ce soir, je vais tester le scénario sur ma belle. C’est le fardeau des femmes d’écrivain. Non seulement elle doivent veiller au mieux pour que le grand penseur soit dans les meilleures conditions pour travailler ( « ne pas le déranger bien sur avec des sordides histoires d’évier bouché, de linge à ranger…), mais en plus, un fois le manuscrit est fini, elle doit encourager l’esprit tourmenté dans ses moments de doute (« mais si, tu es un génie ! »).Puis elle  devra lire la première version (N’hésite pas à me dire, tes critiques », … Mais ce serait tout de même mieux si elle état admirative). Bref, c’est encore elle qui devra doit subir les premiers brouillons- krash-test.

« Tu sais, j’ai presque fini le premier chapitre ».

–        Ah bon ? Et tu en es content ?

–        Pas mal. Pas mal, je te ferais lire si tu veux.

–        Bien sûr….

Puis silence. Il faut absolument que je relance.

–        Bon. Tu veux savoir en gros de quoi cela parle ?

Elle sourit. Elle me connaît. Elle sait qu’elle est partie pour une heure d’exposé.

« Voilà, ce sera l’histoire du big bang – notre grand mythe d’origine – mais à travers l’histoire des savants qui ont peu à peu construire une nouvelle représentation du monde qu’est le « modèle cosmologique standard »

Ça y est, c’est lancé. MC sait qu’on ne m’arrêtera plus.

Tout commence il y a un siècle de cela vers 1910, on pensait encore que l’univers était stable, fixe, éternel. Nul ne pensait que les étoiles ou la matière, l’univers lui même avait une histoire.

Je poursuis Einstein et les équations de la relativité générale. «  la théorie de la relativité est une théorie de la gravitation. Pour Einstein, la gravitation n’est pas une force mais une courbure de l’espace temps. En gros, les corps ne s’attirent pas par une force invisible, ils déforment l’espace autour d’eux. Toi par exemple, tu ne fait pas que m’attirer moi. Tu attires de façon infinitésimal ce qui est autour de toi, parce que tu courbes l’espace sur ton passage ».

Mc ne dit rien. Elle écoute avec attention. Je me demande : « elle m’écoute ou elle pense au crabe ? Ou bien elle a « décollé » et pense à autre chose ? »  Tans pis je continue.

Donc nous sommes pendant la première guerre mondiale. Einstein lui est enfermé dans sa maison de Berlin tente d’appliquer sa théorie de la relativité générale à l’univers tout entier. Son but est de créer une nouvelle cosmologie. Ses nuits et jours, il a le cerveau plongé dans les calculs Et finalement, en février 1917, il parvient à ses fins, un nouveau modèle d’univers est né.

Mais il y a un problème, un grave problème.

Je ménage le suspens.

« Et là, horreur ! Einstein découvre que ses équations le mène à un univers… instable. Son modèle abouti a un monde qui doit s’effondrer sur lui-même, les étoiles étant attirées par la gravitation et la courbure de l’espace.

Pour Einstein, c’est impensable. Un univers qui se rétracte sous le poids de la gravitation. C’est hors de question. Alors il faut trouver une solution acceptable ».

Pour Einstein,  c’est impossible, l’Univers ne peut pas être ni en expansion ni en rétraction. Il y a sans doute quelque chose :  une donnée invisible, une force cachée encore inconnue qui stabilise tout cela.

Et pour mettre de l’ordre dans son système instable, le grand physicien décide d’introduire dans son système une « constante cosmologique », un petite formule anodine mais qui vient équilibrer le tout. Et rassurer Einstein.

« La plus grosse bétise de ma vie » dira—il plus tard.

La nouvelle théorie est aussitôt publiée dans un revue scientifique. Einstein est devenue une sommité. On admire la performance.

C’est alors qu’un jeune mathématicien russe, Alexandre Friedman, se penche sur les équations (que peut de scientifique peuvent vraiement comprendre, et découvre une faille. Il averti Einstein, qui renvoie le jeune impétrant à ses chers études. Mais vérification faite, c’est A. Freidman qui a raison. Les équations conduisent à un univers en expansion. Einstein devra admettre.

Au même moment, un chanoine belge – il s’appelle Georges Lemaître, est parvenu, en 1927 lui aussi aux mêmes conclusions sur l’expansion de l’univers. Et l’univers est en expansion, c’est qu’à un moment donné il a été compacté en une masse unique :  un atome primitif, qui est une sorte d’œuf primordiale d’où tout serait parti….

Tout à coup, je me rends compte que le temps s’est brusquement rétracté. La bouteille de rouge est sérieusement entamée. Il est déjà 9  heure 30. On est à table depuis trois quart heure ; les huîtres et le saumon marinée sont terminés, la salade est servie. Et je n’en suis encore qu’à la découverte de la fuite des galaxies par Hubble en 1929.

Il me reste encore a faire la nucléosynthèse, la mécanique quantique (et la deuxième grande erreur d’Einstein), le modèle de Gamow, etc.

Finalement, j’accèlère le rythme. Mc est toujours é l’écoute, silencieuse.

Qu’est ce que ses yeux son beaux ! La lueur de la bougie brille dans son regard maquillé de noir. Si je ne craignait pas les clichés, je dirais que les étoiles sont au fond de ses yeux. Comme un hologramme, un petit bout d’univers à l’échelle d’un visage.

Mais bon. Ne flânons pas.

Où en étais-je ?

Ah oui. 1965, Penzias et Wilson découvrent le bruit de fond de l’univers. Par hasard en essayant de mettre au point un bon système de détection des ondes satellites.

Mc m’arrête tout à coup..

« Il paraît que nos antennes de télévision peuvent capter ct écho du big bang (C’est bon, elle n’a pas décroché !). La neige que l’on voit en noir et blanc fond l’écran, quand l’antenne est mal réglée. J’ai entendu dire  qu’il s’agissait justement du bruit de fond de l’univers, les traces du big bang que l’on peut voir sur son  écran de télévision. Je trouve cela fascinant. »

Je n’avais jamais entendu parler de cela. Il va falloir que je vérifie. [1]

Je reprends le fil. Et pendant presque une heure encore, je la saôule a propos du « nouveau modèle cosmologique », son énigmatique « matière sombre »* et de la non moins mystérieuse « énergie noire » (cette force invisible, qui expliquerait l’accélération des galaxies). Je lui expliquer alors les doutes que l’on peu avoir a propos d’un modèle cosmologique, qui doit, pour fonctionner, introduire autant d’inconnues et d’anomalies.

Finalement, le temps du dessert était largement passé, la bouteille vide, quand j’ai conclu sur je ne sais plus quoi. Ah oui, l’hypothèse du « Big Rip », le nouveau scénario en vogue sur la fin de l’univers : Ni big Crunch, ni expansion et refroidissement à l’infini un éclatement de l’espace-temps. : comme un ballon trop gonflé qui éclate. Un déchirement. Point final. La fin de tout.

J’attends sa réaction.

Elle sourit, les yeux dans le vide. Silencieuse.

Je lance : « Evidement, ce n’est peut-être pas un bonne idée de parler de la mort de l’univers une heure avant la nouvelle année.

– Non, je trouve plutôt cela… apaisant.

Apaisant ? C’est curieux, en général, c’est plutôt angoissant.

L’autre jour, par exemple on a parlé du big bang avec  Didier. Et il m’a confié que cela le mettait mal à l’aise. L’espace, les galaxies,  le froid intersidéral, le big bang. C’est quelque chose auquel, il n’aime pas penser, qui l’inquiète.

– Moi, cela me rend plutôt sereine. Quand j’étais petite, je me souviens d’avoir lu un récit, dans un volume du Selection du Reader digest, auquel mon père était abonné – C’étaient les seuls livres qu’il y avait à la maison . Je me souviens d’une histoire d’un vieil indien. Il allait bientôt mourir et la coutume voulait que chez eux, on abandonne les vieux qui ne peuvent plus se déplacer. On leur laisse un peu de nourriture, puis le groupe s’en va les laissant mourir seuls.

Je l’interromp (toujours à l’affut d’une précision) :  « Ce sont sans doute des Inuit, c’est comme cela que cela se passait chez eux. »

Elle reprend : « Arrive donc la nuit, et le vieil indien se retrouve seul. Il sait que le moment est venu. Il ne lui reste que quelques heures à vivre. Il regarde les étoile. ll voit tous ces astres qui brillent depuis si longtemps. Il sait qu’elles étaient déjà là avant sa naissance ; il sait qu’elles seront là encore après sa mort.  Et tout d’un coup, il prend conscience de combien il est peu de chose. Presque rien à l’échelle du monde. Et cette pensée le réconforte. Cela le rassure de penser de n’être qu’un point minuscule dans l’univers. Sa mort ne représente presque rien. Le monde continuera sa route les étoiles de briller. Nous ne sommes pas grand chose à l’échelle de l’univers. On peut donc mourir en paix.

Cette histoire m’ait beaucoup de bien. Elle calmait  mes angoisses de petite fille. A l’époque, j’avais de l’asthme. Et la lecture calmait mes crises. L’ histoire de cet indien, de ces étoiles, je me souviens qu’elle m’a rassuré.

Tout à l’heure, quand tu parlais des étoiles, des galaxies, cela m’a rappelé cette histoire. Elle me rend sereine : la mort n’est rien».

Bon je confirme : elle avait décroché un moment. Mais je l’ai tout de même transporté dans les étoiles…

On se sert un dernier verre de vin : le fond de la bouteille. Il est presque minuit.

« Bonne année, mon amour »

Bonne année, mon amour ».


[1] J’ai trouvé une mise au point sur le Web ( dans un forum de discussion). La réponse est qu’il y a bien ne partie de la neige TV qui vint de l’univers mais c’est une partie microscopique (de l’ordre de 1%) Le reste est du au bruit interne du système. Et si on débranche la télé, le fond reste.

C’est un peu moins poétique et extraordinaire, mais moins complètement faux.


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