L’homme est un animal littéraire

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Le 15 décembre 2010 par Jean-François Dortier

Tous les enfants du monde, depuis toujours, aiment écouter les histoires. Qu’elles soient racontées par un vieux griot assis au coin du feu, ou lues par un parent assis au bord du lit. Les enfants écoutent, les yeux ronds, ces histoires d’enfants perdus, d’animaux ou de monstres… Ils poursuivront en rêve la suite d’une histoire dont ils deviendront eux-mêmes les héros.

Les adultes n’ont pas perdu ce goût immodéré pour les histoires de toute sorte : contes, mythes, légendes et littérature romanesque.

L’espèce humaine est une « espèce fabulatrice » (Nancy Huston). Raconter et écouter des histoires lui est tout aussi consubstantiel que de marcher sur deux jambes, parler, fabriquer des outils ou vivre en société. Tel est en tout cas l’hypothèse soutenue par un flot d’ouvrages parus depuis quelques années (1).

Plume de paon et pâtisserie de l’esprit

L’Animal littéraire, tel est le titre d’un curieux livre collectif paru en 2005. Seule une alliance contre nature a pu enfanter un livre aussi atypique (2). Charles Darwin y côtoie Gustave Flaubert, un grand écrivain anglais y dialogue avec le père de la sociobiologie, la théorie du roman s’allie avec la théorie la sélection naturelle… Et tous semblent faire bon ménage.

Comment a-t-on pu marier deux domaines que tout semble devoir opposer : la théorie littéraire avec la théorie de l’évolution ?

Première hypothèse : l’apparition de la littérature (en fait de la fiction en général) pourrait répondre à un avantage évolutif. De même que les plumes du paon sont fonctionnellement inutiles, la fiction en général (l’art de raconter de bonnes histoires) pourrait être un artifice destiné à séduire son entourage en lui procurant du plaisir.

Autre hypothèse évolutionniste : la capacité de forger et d’écouter les bonnes histoires relève de la faculté proprement humaine de produire des « mondes possibles ». L’imagination est un moyen d’explorer le monde en pensée, et se projeter mentalement dans des situations imaginaires est un moyen d’exploration virtuel. On peut vivre en pensée n’importe quelle situation humaine, pour « voir » comment s’y prennent les personnages pour résoudre les problèmes de la vie.

En renfort de cette hypothèse, le fait que les bons romans sont construits autour d’intrigues ayant une forte composante existentielle : amour, mariage, relations personnelles, maladies, guerres, vieillesse, solitude… Toutes les petites et grandes dramaturgies de l’existence y sont mises en scène.

Depuis quelques années, nombre de livres, ont été publiés dans les pays anglo-saxons sur le thème de « l’animal littéraire ». Cette production éditoriale est au croisement de plusieurs courants de recherche touchant à l’art de la fiction : philosophie esthétique, logique (des mondes possibles), darwinisme, narrative studies, etc.

Tous s’accordent sur un point : si le genre littéraire est une invention récente de l’humanité, il plonge néanmoins ses racines dans une aptitude plus fondamentale des humains à se complaire dans les fictions, qui enflamment son esprit depuis toujours.

NOTES :

(1) Max Turner, The Literary Mind, Oxford University Press, 1996 ;
Alan Palmer, Fictional Minds, University of Nebraska Press, 2004 ;
Lisa Zunshine, Why We Read Fiction: Theory of mind and the novel, Ohio State University Press, 2006 ;
Brian Boyd, On the Origin of Stories: Evolution, cognition, and fiction, Belknap Press, 2009.
(2) Jonathan Gotchall et David S. Wilson, The Literary Animal: Evolution and the nature of narrative, Northwestern University Press, 2005.


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