Vivre ses passions

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Le 23 mars 2016 par Jean-François Dortier

Le dernier numéro de Sciences Humaines est paru. Au sommaire un passionnant dossier sur les passions dont voici l’éditorial. 

« Lors du premier dimanche de février se tenait à Monéteau, petit bourg de l’Yonne, une « bourse aux fossiles et minéraux » dans une petite salle attenante à la mairie. Quoi de mieux pour aller à la rencontre de passionnés ? Gilles, par exemple, la cinquantaine, est venu du Calvados accompagné d’un ami, également mordu de fossiles. Tous deux passent une partie de leur temps libre à sillonner leur région à la recherche de fossiles marins. Ce week-end, ils ont fait près de 400 kilomètres pour tenir leur stand. Pour quelques euros, j’ai acheté à Gilles un petit fossile. « C’est un nautile de type cenoreras, ça date du jurassique moyen, c’est-à-dire de 180 millions d’années. On les trouve dans une couche précise de moins de 10 centimètres et… » Je décroche assez vite, mais Gilles, intarissable, poursuit son laïus. C’est le propre du passionné : dites un mot-clé – ammonite, PSG, Beatles ou soufisme – et le voilà parti. « Excusez-moi, on m’attend… »

Je m’éclipse à l’autre bout de la salle. Le stand de François vaut aussi le coup d’œil. Sa passion à lui est la conchyliologie, autrement dit la science des coquillages. Une brochure en vente présenteL’Univers des coquillages. En préface, on peut lire ceci : « Mais qu’est-ce qui fascine à ce point les amateurs de coquillages ? Tous les collectionneurs sont-ils des spéculateurs sur la valeur marchande des spécimens rares ? Sont-ils des maniaques de la science malacologique ? Ou tout simplement des rêveurs amoureux de la nature ? On rencontre sans doute un peu de toutes ces raisons parmi les motivations qui agitent les conchyliologues, dilettantes ou professionnels. » Ce dimanche-là, ailleurs, d’autres personnes se sont adonnées à d’autres occupations : la course à pied ou la pêche à la carpe, la lecture, la musique, le bénévolat humanitaire, le bricolage ou les jeux vidéo. Certains s’adonnent à leur hobbysur un mode mineur, comme un simple passe-temps ; d’autres sont des mordus. On commence à parler de passion quand quelque chose vous démange, occupe vos pensées et une partie notable de votre temps. La passion a quelque chose à voir avec l’amour et avec l’addiction. Remarquez que ces quelques critères valent pour toute une série d’activités : on peut se passionner pour l’art, la science, la politique, la religion, le sport, la lecture ou la chasse. On peut être mordu de rugby ou de philosophie, de cheval ou de cuisine.

Des passions, il en existe de mille sortes. Ce qui est étonnant est que la passion peut justement se fixer sur à peu près n’importe qui ou n’importe quoi. Mais inversement, ce qui enflamme l’esprit de l’un peut laisser l’autre indifférent. D’où la difficulté d’ailleurs de comprendre les passionnés. Une passion ne s’explique pas, ne s’enseigne pas et se communique difficilement : elle s’attrape, comme un virus. Longtemps les sciences humaines ont délaissé l’idée de passion. Aujourd’hui, des sociologues, historiens, psychologues et philosophes éprouvent le besoin de redonner une seconde vie à ce vieux mot (comme le montre le dossier de ce numéro). Il n’est pas sûr que tous lui donnent le même sens, mais si la notion reprend de la vigueur, c’est qu’elle touche à quelque chose d’essentiel de la condition humaine. La passion : voilà une bonne clé d’entrée pour comprendre les humains – au travail, en politique, en amour – et parfois aussi sur un salon « minéraux et fossiles », par un dimanche après-midi de février.


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