La mort en direct

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Le 17 mars 2011 par Jean-François Dortier

L’histoire s’agite autour de nous à une vitesse folle. Il y a quelques jours encore, on suivait en direct sur internet les soulèvements en Tunisie, en Egypte, en Lybie. L’insurrection s’est propagée dans tout le Moyen-Orient. Après la chute rapide de Ben Ali et de Hosni Moubarak, on croyait, il y a une semaine encore on croyait que les dernières heures de M Kadhafi était comptées. L’insurrection gagnait tout le pays et l’improbable semblait possible : le régime allait tombe à son tour. Mais depuis quelques jours la situation semble d’être retourné. Les forces pro-Kahafi, armée et milices – ont repris l’offensive et regagnent une à une les villes conquises. Les insurgés sont repliés à Bengazhi, le dernier bastion de rebelles et hier encore on pouvait s’attendre et craindre que la terrible répression s’abatte sur la ville des insurgés dans les prochains jours.

Puis, cette nuit, nouveau retournement de situation. L’ONU a décidé d’intervenir. Elle définie une « zone d’exclusion aérienne » pour protéger les civiles des frappe aérienne. Elle autorise l’intervention armée contre l’aviation libyenne. En quelques heures la situation semble se retourner de nouveau sans que l’on sache comment les événements peuvent se retourner.

la vague de d’angoisse

Mais déjà notre regard c’est détourné vers le Japon, le  tremblement de terre, puis le Tsunami qui a déferlé jeudi dernier.  On a vu les images de la vague meurtrière déferler sur les habitations, tout emporter sur son passage : bateaux, voitures, se fracassant contre les autres, les maisons disloquées… Puis il y a eu les explosions à répétition dans la  centrale nucléaire Fukushima.

Un scénario catastrophe qui semble écrit pour un film « frisson » de série B. Et c’est pourtant l’histoire réelle qui se déroule sous nos yeux.

Il y a quelques jours, on s’émerveillait d’Internet et des vidéos prises par les téléphones portables qui nous permettait de suivre les révolutions en cours au Moyen-Orient. Ces images diffusées sur la toile étaient même devenues un facteur agissant de l’histoire. Depuis quelques jours, Internet et les images des téléphones portables est le vecteur de nos angoisses.

De nouveau, nous voilà à suivre heure par heure, les événements sur Internet ou à la télévision. Aujourd’hui, le 17 mars, le bilan officiel est pour l’instant de 5.321 morts. La police nationale recense également 9329 disparus. Le bilan va bien sûr s’alourdi.

9329  disparus. Arrêtons nous un instant. Disparus ! Beaucoup sont morts, sans que l’on ait encore a encore retrouvé leur corps.

Où ont les disparus?

J’essai d’imaginer l’angoisse de ces familles éloignées qui ont essayé de joindre un père, un frère, un enfant… et dont le téléphone n’a pas répondu. Les heures terribles d’attentes. Puis tout à coup un coup de fil et un dénouement heureux pour les uns. Mais pour des milliers d’autres, le silence qui dure.

Je pense à ce jeune homme vu à la télévision. Assis, les mains croisées sur les genoux, au milieu des carcasses de maison. Prostré, il regarde dans le vide. Il répond au journaliste d’une voie calme presque inaudible. Il a perdu toute sa famille ainsi que des proches. Tous ont disparu. TOUS.

Qu’est qui peut se passer dans la tête des gens qui restent. Ce père qui en rentrant du travail, n’a pas retrouvé trace de sa femme et sa fille dans les décombres. Cette femme qui n’a pas de nouvelle de sa mère restée dans la maison familiale. A la télévision hier, un reportage poignant. père, venu sur les lieux deux jours après le passage le séisme, qui marche dans une rue où plus aucune maison n’est debout. Il appelait son grand fils au milieu des ruines, en espérant, sans y croire, qu’une voix allait peut-être lui répondre.

La disparition est peut-être encore plus terrible encore que la mort. Et si son fils est coincé sous une poutre, à souffrir, à attendre, à agoniser ? Quoi de plus terrible que ces images de cauchemars qui vont défiler dans le tête de tous ces gens, pendant des jours, des semaines, des mois. Comment ne pas voir et revoir cette grosse vague déferlante, qui entre d’un seul coup dans la maison où on a vécu, dormi, mangé en famille ? Comment ne pas s’imaginer la terreur de son enfant, son frère ou sa femme  emporté par les eaux, son corps soulevé, bousculé ? Comment ne pas entendre ses cris ? Comment ne pas l’imaginer en train de chercher à s’accrocher à une rampe, une porte, s’échapper par une fenêtre ?  Voir le pire : la vague qui l’engloutis, l’eau qui s’introduit dans la bouche, les poumons. Comment ne pas le voir se débattre,  terrorisé. A ces images insupportables s’ajoute la culpabilité de ne pas être là pour le sauver, lui tendre la main. Et comment éloigner de sa tête, cette image encore plus atroce : ce corps disparu, flottant quelque part, entre deux eaux.

Ces images vont revenir en boucle et hanter pendant longtemps encore les nuits des rescapés.

Comment survivre ?

Je prépare en ce moment un numéro des Grands dossiers des Sciences Humaines sur « l’art de vivre ». Je me suis plongé dans la lecture des manuels de sagesse antique et les livres de développement personnel. Tous sont censés nous donner des recettes de bien-être, ou du moins, délivrer des techniques psychologiques et spirituelles pour affronter les épreuves de la vie. Ces leçons de sagesse tournent toujours autour des mêmes principes : Apprendre à se connaître, Vivre l’instant présent, Accepter le monde tel qu’il est, Rejeter les vaines passions, Devenir ce que l’on est, Chasser ses démons intérieurs, Etre bienveillant, Cultiver la tempérance et la sobriété, etc.

Tout cela me paraît en ce moment bien dérisoire. Que valent des discours sur l’art de vivre pour les survivants du tsunami ? Y a-t-il des mots qui pourraient les aider à supporter les flots de douleur qui les assaillent ?

« Que philosopher, c’est apprendre à mourir » disait Montaigne. Et les sages nous ont abreuvé de belles considérations sur l’art d’affronter la mort avec sérénité. Mais pour ces gens endeuillés, ce n’est pas leur mort qu’il faut affronter : c’est la disparition d’un proche. La philosophie, les psychothérapies peuvent être aider à affronter la douleur de celui qui vient de perdre un perdre un enfant, un parent, un ami, un collègue dans des conditions aussi atroces ?

Et que dire du « carpe diem » (cueilles le jour) ?  Sans parler du « Vivre ici et maintenant »  : pour celui qui est seul, hagard, au milieu des décombres ?

Philosophes : si vous connaissez les mots, les idées qui soient de quelques secours pour tous ces gens dans la détresse, dépêchez vite vos brigades philosophiques sur place. S’il existe des techniques philosophiques ou psychologiques qui peuvent, ne serait-ce que soulager la peine, endiguer le flot des angoisses de tous ces gens, notre devoir est de les faire connaître maintenant.

Il ne s’agit même plus de trouver le bonheur et la sérénité, mais simplement de soulager un peu du malheur.

Que peuvent les sagesses face à tant de souffrance ? J’ai peur de connaître la réponse…


1 commentaire »

  1. Chapouthier dit :

    La réponse, c’est… qu’il n’y a guère de réponse ! La plus « percutante » était celle des stoïciens, selon lesquels il fallait quitter la vie sans peur, comme on quitte une maison enfumée. Mais c’est bien difficile à faire avaler à nous, êtres vivants, dont le « but » est justement de nous maintenir en vie. Quoique puissent dire les philosophes, notre vécu existentiel s’insurgera toujours contre la mort.

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