Albert Memmi : faux, mais admirable

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Le 6 novembre 2010 par Jean-François Dortier

L_Homme_domin_J’ai entrepris ce matin la lecture L’Homme dominé d’Albert Memmi.

Cet essai a été publié en 1968 et vient d’être réédité en poche (éd. folio). Le livre rassemble une série d’études sur différents personnages dominés : le Noir, le Colonisé, le Juif, le prolétaire, la femme, Le domestique.

On voit bien, au simple énoncé ces différents visages de dominés, de quoi il s’agit. A l’époque où le livre est écrit, toutes ces figures sont des symboles. Tous semblent partager la même condition de « dominés ». Le « colonisé » est subordonné au colon, le « prolétaire » au patron, le « domestique » à son maître, la « femme » à son mari, etc. C’est du moins les choses telle qu’elles apparaissaient à l’époque. Mais aussitôt, un problème surgit : le  « Noir » et le « juif » (toujours à l’époque) doivent-ils être considéré comme des dominés ou comme des exclus ? Tous deux subissent la discrimination, mais pas forcément la domination. Dans le chapitre « Petit portrait du juif », Albert Memmi, raconte sa propre histoire – celle d’un juif né à Tunis en 1920. Le petit juif de Tunis rêve de venir en France, pays des Lumières pour y mener ses études de philosophie. Mais il se retrouve isolé quelque part dans une ville du le nord de la France : dans le froid,  le brouillard et la désolation. A ce moment là le « rêve de l’Occident s’est transformé en cauchemar ».  Loin du soleil, de sa famille, sa communauté, le jeune homme est en proie à l’angoisse.  «J’en vins même à douter de la profession que j’avais choisie si ardemment, et même de la philosphie, qui me semblait alors la suel occupation possible pour un homme de quelques noblesse ».

L’écriture de son premier roman, une récit très personnel,  sera une façon d’exorciser son malaise tout en analysant sa condition d’exilé. Raconter sa propre histoire, sous forme de roman, puis d’essais, permet à A.Memmi, d’analyser la condition plus générale de l’opprimé. En tant que Tunisien, il a connu la situation du colonisé. En tant que juif, il a connu la condition de minorité opprimée. Et il lui semble pouvoir ensuite généraliser cette condition à celle d’autres opprimés : celle des noirs, des femmes, des travailleurs.

En ouverture de son livre, il énonce son programme.  Par touches successives, il va entreprendre un portrait général de l’homme dominé. « Il ne s’agit donc ici que d’une première tentative, sur laquelle il me faudra revenir. Ces diverses études sont des gammes pour ce grand livre sur l’oppression, que j’annonce sans cesse, que je n’achèverai peut-être jamais, mais vers lequel j’avance une peu tous les jours. »

Un très beau projet, mais qui me semble souffrir d’un grave défaut : l’assimilation abusive entre le statut de dominé et l’exclu, (sous l’étiquette vague « d’opprimé »).

Je m’explique.

Ne pas confondre domination et  discrimination

La discrimination doit, à mon sens, être distinguée de la domination. En tant que juif, ide colonisé, d’immigré, A. Memmi à connu la discrimination, les humiliations, les regards de travers et même la honte de soi, forme suprême de la discrimination. Mais il ne s’agit pas vraiment de domination. La notion de domination devrait être réservée à la relation bilatérale entre la maître (qui donne des ordres) et la personne qui lui est subordonné. Parmi les dominés, on pourrait ainsi classer les esclaves, les salariés, les soldats, les femmes, les élèves. Tous sont en situation de subordination par rapport à un chef, un maître, un commandant, un supérieur. Ce dernier donne des ordres, et le « dominé » est contraint de les exécuter, faute de sanctions.  (Que le dominé adhère ou non aux objectifs du maître est une autre question qu’il faudrait ensuite traiter).

La discrimination se distingue de la domination. Etre discriminé, c’est être assigné à un statut inférieur, subir une forme de racisme. La personne discriminée n’est pas forcément sous la coupe d’un chef.  Etre discriminé c’est rejetée d’un groupe, d’une communauté, c’est se voir interdir l’accès à des postes, des droits, c’est subir des humiliations.

Certes, il arrive souvent que domination et discrimination aillent de pair. Les esclaves ou salariés noirs étaient à la fois dominés (en tant que travailleurs) et discriminés. Mais ce n’est pas le cas des juifs qui étaient discriminés sans forcément être dominés. Ils sont  rejetés et mis à l’écart mais pas sous le commandement d’un supérieur. Inversement, on peut être dominé (comme la plupart des travailleurs) sans être forcément discriminé.

Dominés et discriminés partagent donc tous les deux un statut d’infériorité.  Mais dans le cas de la domination la relation est hiérarchique : l’un commande, l’autre obéit. Le dominant est « au dessus », le dominé « au dessous ». La discrimination est une relation  est plutôt une d’inclusion/exclusion.

A part cela le livre d’A. Memmi est admirable d’intelligence, de beauté, d’humanité. On en sort ébloui et grandi.


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