Ils ont eu raison trop tôt

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Le 1 juin 2013 par Jean-François Dortier

Le livre de Laurent Lemire, Ces savants qui ont eu raison trop tôt,  (Taillandier, 2013) est instructif, édifiant et agréable à lire. Il brosse le portrait d’un vingtaine de savants en avance sur leur temps. On (re)découvrira l’histoire bien connue de Gregor Mendel précurseur de la génétique et ses expériences sur la reproduction des petits pois; on retrouvera aussi Alfred Weneger dont la théorie sur la dérive des continents est restée longtemps incomprise quelques décennies avant d’être acceptée par la communauté scientifique. Mais on découvrira surtout bien d’autres cas moins connu comme Maupertuis et sa théorème de la moindre action ou Vladimir Vernadski, théoricien de la biosphère.

Mais le choix de certains savants est douteux. Pourquoi avoir fait figurer Henri Poincaré ? Certes il a découvert des élements fondamentaux de la théorie de la relativité en même temps qu’Einstein: mais son cas relève des découvertes simultanées et non de celle du savant ayant eu raison trop tôt. De même le choix de Peter Higgs, le découvreur du fameux « boson » qui porte son nom est plus douteux. En aucun cas, le chercheur ne fut incompris et sa théorie rejetée par la communauté scientifique. Au contraire la communauté des spécialistes à admis et intégré l’existence de cette particule fantôme dans ses modèles bien avant que l’on puisse observé son existence. Ce qui a été fait l’an passé avec les expériences du LDS, n’est autre que la confirmation d’une hypothèse nécessaire à la cohérence du modèle standard de la physique des particules. En aucun cas Higgs n’a préché dans le désert: on a même construit l’appareil le plus coûteux de toute l’histoire de la science pour prouver sa théorie était juste !

Inversement, je trouve dommage que Laurent Lemire n’a pas jugé bon de faire figurer dans son livre quelques personnages comme Lynn Margulis et sa théorie symbiotique de l’évolution, D’arcy Thomson, le père de la morphogenèse ou Thomas Bayses, le pasteur britannique dont le théorème a mis trois siècles avant de s’imposer.

Une réhabilitation s’impose donc. Ce que je vais faire dans les prochains jours. Au delà de l’hommage rendu, c’est l’occasion de faire connaître trois théories qui sont en train de  révolutionner les sciences contemporaines dans l’ignorance totale du grand public et…  du livre de Laurent Lemire.

 


5 commentaires »

  1. Didier Mendelsohn dit :

    Une fois encore voila la démonstration que l’on a les hommes que l’on mérite. C’est vrai en politique: je veux croire qu’ils existent ceux qui serait capable d’être à la hauteur des évènements que nous vivons, qu’ils nous parlent ( notamment d’environnement ou de solidarité) mais que nous n’entendons pas, que nous ne sommes capables d’entendre. Idem pour les sciences: Mendel, Weneger et les autres n’auront pas été entendus. Ou du moins pas tout de suite.De quoi s’interroger sur l’inconcordance des temps. Mais n’est-ce pas une caractéristique de tous rapports humains, publics et privés, religieux et spirituels, sociaux et politiques?

  2. Jacques Van Rillaer dit :

    Dans l’histoire de la psychothérapie, un savant qui a été le pionnier d’idées qui ont fait la fortune de Freud et des psychanalystes est Moriz Benedikt. C’est surtout Henri Ellenberger, le célèbre historien de la psychiatrie «dynamique» qui l’a sorti des oubliettes de la psychologie.

    Benedikt est un neurologue autrichien, chef du Service de neurologie de la policlinique générale de Vienne. Il a élaboré un traitement psychologique fondé sur l’exploration de secrets et d’événements traumatisants du passé.
    À partir de 1864, il a émis l’idée que l’«hystérie» est souvent causée par une perturbation psychologique de la vie sexuelle et non, comme on le pensait à l’époque, par un dysfonctionnement somatique de l’utérus ou de la sexualité. Il a ensuite développé la thèse que non seulement l’hystérie, mais tous les troubles mentaux et même certaines maladies physiques trouvent leur origine dans des «secrets pathogènes», tels que des traumatismes sexuels de l’enfance, des frustrations sexuelles, des passions contrariées, des ambitions déçues. En conséquence, le rôle du médecin est d’aider le patient à mettre au jour cette «seconde vie», qui se trouve cachée «à l’intérieur du moi».

    Dès le milieu des années 1860, Benedikt fut un des tout premiers médecins à employer l’hypnose — qu’il appelait à l’époque la «cataleptisation» — pour faciliter l’exploration des événements passés qui sont à la source des troubles mentaux. Fait intéressant: après avoir été, pendant quelques années, un utilisateur enthousiaste de l’hypnose, Benedikt en deviendra un adversaire déclaré. Pour lui, en fin de compte, cette technique est propice aux suggestions, aux mystifications, et ses résultats sont éphémères ; l’exploration de la vie inconsciente doit s’effectuer à l’état de veille, en faisant preuve de « courage moral ».

    La théorie et la pratique de Benedikt ont joué un rôle capital dans les conceptions de son ami Joseph Breuer — à l’époque où celui-ci traitait sa célèbre patiente Anna O. —, de Freud — qui, soit dit en passant, reçut de Benedikt la lettre d’introduction qui lui permit de faire un stage chez son ami Charcot à Paris — et d’Adler — qui travailla, comme jeune médecin, dans le service de Benedikt. Breuer et Freud, dans leurs publications de 1893 et 1895, ont reconnu leur dette à son égard, tant pour l’explication de troubles psychiques (par des conflits intérieurs enracinés dans le passé) que pour leur thérapie (par la remémoration de ces conflits).
    Benedikt a publié une série de cas illustrant sa conception. Ellenberger, qui en donne un échantillon, note que rien ne ressemble plus aux observations cliniques de Benedikt que celles que Freud présentera, plus tard, dans les Études sur l’hystérie.

    Bien sûr, si on considère que la remémoration est d’un effet fort limité pour traiter des troubles mentaux, on peut relativiser l’importance du travail de Benedikt. De toute façon, son rôle considérable dans l’histoire de la psychothérapie est largement méconnu.

    Pour en savoir plus sur Benedikt : Andersson O., Studies in the Prehistory of Psychoanalysis, Stockholm, Svenska Bokförlaget, 1962, p. 115s. — Ellenberger, H. (1973) Moriz Benedikt (1835-1920). Confrontations psychiatriques, 11 : 183-200 Rééd. in H. Ellenberger, Médecines de l’âme. Essais d’histoire de la folie et des guérisons psychiques. Paris : Fayard, 1995, p. 123-142. — Ellenberger H., Histoire de la Découverte de l’Inconscient, rééd. Paris, Fayard, 1994, passim. — Borch-Jacobsen M., Souvenirs d’Anna O. Une mystification centenaire, Paris, Aubier, 1995, pp. 67-78, 111-118.

  3. Arnaud dit :

    Bonjour,

    je viens de finir la biographie de Nerbert Wiener, le père de la cybernétique, et au vu de l’écart qui existe entre l’importance de la cybernétique et son quasi oubli aujourd’hui, je me demandais si Wiener faisait partie de cette liste de « savants oubliés »…

    Merci d’avance à vous.

    Arnaud

  4. Jane dit :

    Merci donc à d’Arcy Thomson, Ecossais génial (1860-1948), pour avoir dit ce qui est une évidence du regard éduqué à observer de façon interdisciplinaire : les transformations géométriques dans la pratique du dessin (carré, rectangle, losange, parallélogramme : fenêtre, porte, pont… vignettes de BD ; cercle, ovale, secteur, ellipse, cône, spirale : soleil, lune, banane, chapeau, bateau, entonnoir, tourbillon… ; et volumes (cube, paralléllépipède, prisme : autel, pyramide… ) car, dans la pratique de l’écriture littéraire, chacun peut aussi vite se rendre compte que les esquisses de silhouettes et d’objets, les genres et types de textes ne sont pas entre eux si éloignés que les dogmes académiques ont voulu longtemps le faire croire, en recommandant d’enseigner de façon cloisonnée ou émiettée, et puisqu’il suffit de chercher le scénario de récit, de théâtre ou de BD, derrière des concepts à jeter à la corbeille (doué ou pas doué pour la discipline – prédestination ridicule – , trame narrative puis schéma narratif – sècheresse des analyses explicatives désincarnées ou sans aucune sensibilité et sans éthique -), pour voir comment on passe d’une forme de texte à une autre : l’idée de la « métamorphose » inventée par les Grecs a été oubliée. Conséquences ravageuses : l’enseignement et l’apprentissage de la lecture et de l’écriture littéraires sont depuis dévoyés, empêchant les enseignants de cette discipline de se risquer à la pratique pédagogique beaucoup plus significative indiquée ci-dessus et freinant grandement les élèves dans leur acquisition confortable et durable des compétences intellectuelles de base (lire-écrire-imaginer-confronter-communiquer).

  5. Lesly dit :

    Et à quand la réhabilitation d’Epicure qui eu l’intuition, dès le IVème siècle avant J.-C., de l’existence d’éléments simples constituants ultimes de la matière : les atomes…
    @+ 😉

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