sur ma table de chevet

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Le 21 décembre 2017 par Jean-François Dortier

Le dernier numéro Sciences Humaines vient de sortir. C’est le dernier de l’année 2017 et le n° 299. Au programme :  quelques livres qui nous ont marqué cette années. Voici mon éditorial.

« Sur ma table de chevet se trouve une pile de livres, dont plusieurs ont déjà été entamés. En ce moment, ma lecture du soir est La Maison éternelle de Yuri Slezkine. L’historien raconte ce que sont devenus les habitants de la « maison du gouvernement », construite à proximité du Kremlin. Au lendemain de la révolution de 1917, ce complexe immobilier symbole du nouveau régime a abrité les représentants du pouvoir. 500 appartements, une banque, une bibliothèque, un réfectoire, un théâtre, un court de tennis : ce complexe devait être un microcosme de la vie soviétique idéale. Sauf que durant les grands procès des années 1930, 800 habitants furent condamnés au goulag ou exécutés pour trahison. Y. Slezkine fait revivre la destinée de ces gens : leur jeunesse, leur conversion au communisme, leurs amours, leur vie de famille puis la déliquescence de cette communauté. Même si le récit est envoûtant, je ne finirai jamais ce pavé de plus 1 200 pages. Car sous ce livre m’en attendent d’autres tout aussi imposants : La Transformation du monde de Jürgen Osterhammel, une histoire globale du 19e siècle en 1 480 pages ! Sur la pile aussi, Rome et les barbares de Peter Heather, puis Les Routes de la Soie de Peter Frankopan (vous l’avez compris, en ce moment, je traverse une période « histoire »).

Même le lecteur vorace, insatiable et addictif que je suis ne pourra arriver à bout de cette montagne de savoir. Non seulement parce que le temps nous est compté à tous, mais aussi parce que bientôt arrivera un flot de nouveaux livres, intarissable, continu, débordant… Mes livres entamés rejoindront les rayons de bibliothèque qui croulent déjà sous le poids d’autres livres ouverts, survolés puis rangés dans ce supposé purgatoire où l’on est supposé les retrouver « plus tard ». En vain. Une question me préoccupe depuis toujours ? Comment faire en sorte de ne pas oublier ces milliers de pages lues au fil des jours ? Quelle trace en reste-t-il une fois un livre refermé ? La mémoire est si oublieuse ! Comment faire en sorte que les lectures du jour n’effacent pas celles d’hier ? Comment empêcher que le cerveau soit une baignoire qui ne cesse de se remplir d’un côté et se vider de l’autre ? Pour éviter l’oubli, j’ai pris l’habitude depuis longue date de noter sur des petits carnets quelques points clés de mes lectures du jour. Je classe ensuite ces notes dans des dossiers (naguère c’était des dossiers de papiers, aujourd’hui ils sont numériques). Ces notes sont regroupées par thèmes et sujets. Elles constituent ce que Rousseau appelait « mon magasin d’idées » ; elles stockent ce que ma mémoire ne pourrait retenir. Cet entrepôt m’est bien utile lorsque j’écris un article ou un livre. Cette discipline personnelle est ma façon à moi de lutter contre l’oubli et de surnager face au torrent jamais tari de la production éditoriale. Sciences Humaines doit en partie son existence à cet esprit de conservation.

Non, nous ne pouvons pas tout lire : sur l’histoire des révolutions, sur l’intelligence artificielle et les robots, sur les religions, la philosophie, les idées du temps, etc. D’où l’idée de ce numéro : tenter de sauver de l’oubli quelques lectures édifiantes et dignes de résister au temps. Pierre Bayard l’avait montré dans son malicieux essai Comment parler des livres que l’on n’a pas lus ?. Sachant qu’il est impossible de tout lire, que chaque livre ouvert en laisse d’autres dans l’ombre, il faut savoir en prendre son parti et se contenter parfois d’un compte-rendu. Afin de prendre connaissance de tous ces bons livres qu’on ne lira jamais, mais qu’on aimerait pourtant ne pas oublier.

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3 commentaires »

  1. Au tsunami incessant des nouveaux livres, il faut ajouter les journaux, les blogs, les périodiques (« papier » et électroniques) auxquels on est abonné : Le Cercle Psy, Sciences humaines, Science et pseudo-sciences … et les mails d’amis qui vous envoient des documents dignes d’intérêt…
    Pour calmer mon désarroi, j’ai placé cette phrase de William James sur le miroir devant lequel je me rase quotidiennement: « The art of being wise is the art of knowing what to overlook » (« La sagesse c’est l’art de savoir ce qu’on peut négliger »).
    Les auteurs qui font de très gros livres devraient savoir qu’ils seront finalement peu lus. Parmi les nombreuses personnes qui m’ont dit avoir acheté « Le livre noir de la psychanalyse » (820 pages), très peu d’entre elles m’ont dit avoir tout lu.
    Pour ma part, je vais tout de même essayer d’arriver au bout du livre de Steve Pinker: « La part de l’ange en nous », 1042p., que l’entretien de Pinker avec Jean-François Marmion (S.H. 298, p. 22-25) m’a donné envie de lire. (J’ai commencé. C’est passionnant).

  2. Jane dit :

    Peut-être qu’Idriss Aberkane, dans son livre <>, oct 2017, Robert Lafont, présente quelques solutions pour notre mémoire de lecteurs. Je ne fais que commencer la lecture de ce livre qui, selon l’auteur de la Préface, Serge Tisseron, n’est pas un essai mais un manifeste. Et selon l’auteur de l’Introduction, Yves Burnod, avec de nouveaux chemin de la connaissance, des pistes de réflexion, des modes d’action… et de nombreux exemples clairement exposés appartenant à dix domaines (calculateurs prodiges ; psychologie cognitive, psychologie sociale, connaissance sur le cerveau, comparaison de systèmes éducatifs, jeux video « sérieux », économie de la connaissance, publicité et marketing, innovations technologiques, la sagesse).
    je prends des notes moi aussi mais directement dans les pages disponibles au début ou à la fin et dans les marges des livres que je lis, ce sont des repères pour retrouver ce que j’ai trouvé important, je souligne ce que je juge essentiel (mots-clés et phrases significatives), ou je marque des accolades dans les marges. Pas le temps de saisir sur traitement de textes ni de classer par thème dans des classeurs, je vais d’instinct retrouver l’idée majeure ou le point de vue neuf de tel ou tel livre conservé.

  3. Jane dit :

    Pourquoi le titre du livre d’Idriss Aberkan n’apparaît-il pas ? le voici sans guillemets : Libérez votre cerveau – traité de « neurosagesse » pour changer l’école et la société.

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