la femme qui tremble, une histoire de mes nerfs

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Le 23 février 2011 par Jean-François Dortier

En mai 2006, alors qu’elle est en train de prononcer l’éloge funèbre de son père devant un parterre d’invités, l’écrivain Siri Hustvedt est subitement prise d’importants tremblements. Ses bras, ses jambes et son cou sont agités par des secousses convulsives. Pourtant, sa voix reste calme et posée. Malgré tout, elle réussit à terminer son petit discours et les tremblements cesseront avec lui. Ayant eu quelques années plus tôt un épisode similaire, S. Hustvedt s’interroge sur les causes possibles de son étrange symptôme : est-il lié à une maladie neurologique ? Le fait que sa crise principale ait coïncidé avec un moment très particulier, l’éloge funèbre de son père, elle ne pouvait manquer d’évoquer une hypothèse de type psychanalytique. S. Hustvedt décide alors d’entreprendre une enquête sur les causes de ses tremblements. « Il semblait que quelques chose en moi se soit terriblement déréglé, mais quoi exactement ? Je décidai de partir à la recherche de la femme qui tremble. »

Nous voilà donc tout d’abord embarqués avec l’auteur dans l’histoire de l’hystérie. Car ces convulsions font songer aux épisodes des fameuses hystériques très étudiées à la fin du 19ème siècle, avec leurs impressionnantes crises de paralysie ou de tremblement des membres. Aujourd’hui, le mot « hystérie » a disparu du vocabulaire psychiatrique, mais dans le DSM4, on parle de « troubles de conversion », lesquels sont intégrés aux troubles dits « somatoformes » : autant dire des maladie de type « psychosomatique », « sans cause organique ».

Mais que veut dire « sans cause organique » : qu’il n’y a vraiment pas de perturbations biologique au départ du trouble ? Ou bien que ces causes peuvent exister mais ne sont pas connues ou décelables ? Et si on détectait une modification neurologique, est-ce qu’une manifestation neurologique peut être tenue pour une cause ? Car après tout, la dépression a des effets neurologiques nettement décelables sans que l’on puisse affirmer qu’elle a toujours une cause organique. L’auteur nous entraine donc au cœur du grand débat psyché/soma, de la causalité corps/esprit. S Hustvedt mène son enquête, avec méthode, souci de rigueur, et nous fait partager ses interrogations, ses hypothèses et ses doutes. Au cours de ses investigations, on rencontre Freud et les neuropsychiatres contemporains, les théories classiques de l’hystérie et les études récentes sur la psychiatrie de la conversion. Avec l’auteur, on lit les articles scientifiques, on rencontre des experts, on découvre des cas, on passe en revue les théories en vogue ou anciennes, on s’interroge sur leurs présupposés, leurs apports et leurs limites.

Au terme de sa longue enquête, S Hustvedt n’a certes pas réussi à élucider l’énigme de « la femme qui tremble », mais elle nous a conduits dans les méandres de la psychiatrie actuelle, ses ramifications, ses connaissances et ses incertitudes. Voilà un récit très bien ficelé où l’auteur n’impose jamais son point de vue, s’interroge avec beaucoup de curiosité et de sens critique. Une très belle façon de raconter l’histoire et les théories actuelles de la psychiatrie.

La femme qui tremble, une histoire de mes nerfs, Siri Hustvedt, 247 p. Actes Sud, 2010.


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