L’art français de la mémoire

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Le 3 novembre 2011 par Jean-François Dortier

Le prix Goncourt a été décerné à Alexis Jenni pour l’Art français de la guerre. Le premier roman d’un inconnu, dit la presse. Un inconnu? Pour moi, ce nom évoque pourtant quelque chose…

Dans les années 1970, lorsque j’étais élève au lycée de Belley, j’étais ami avec Marie Françoise et Jean-Paul Jenni. La douce et belle Marie-Françoise était la documentaliste du lycée, j’étais un peu amoureux d’elle. Elle illuminait par sa présence la bibliothèque qui était mon refuge pendant les heures d’études. Elle m’a fait découvrir la grande culture et moi, ingrat que j’étais, je lui volais des livres en cachette.

Jean-Paul était prof d’allemand. Je ne sais plus comment j’étais arrivé à me lier d’amitié avec lui, n’étant pas son élève. Je me permettais d’aller squatter la salle des profs où on tolérait ma présence. Je prétextais d’avoir une question à poser à la prof de physique, par exemple, puis je restais à discuter avec les uns et les autres. C’est sans doute comme cela que j’ai connu Jean-Paul. Je me sentais plus proche des enseignants que de mes camarades de classe. Ce n’était pas de la maturité précoce: au contraire, j’avais très en retard. Jean Paul m’avait d’ailleurs appris qu’il existait un mot en allemand pour désigner l’inverse des précoces : ceux qui se révèlent tardivement (mais je ne me souviens plus de ce mot).

Parfois, Mc et moi, nous étions invités dans leur grande maison, près d’Andert. C’est chez eux aussi que se tenaient des réunions d’écologistes dans une atmosphère enfumée. Dans leur maison, il y a avait un adorable berger allemand et deux ados : Alexis et Olga que l’on croisait parfois dans les couloirs. Olga, la petite enfant sauvage, venait parfois nous rejoindre. Alexis, lui lisait dans sa chambre, pendant que nous étions tout occupés à refaire le monde dans le salon.

Bien après le lycée, la fac, nous nous sommes souvent souvent revus avec Jean Paul. Le jour où ma file est née, en 1984, Jean-Paul était invité à la maison; on avait du interrompre le repas pour aller d’urgence à la maternité.

Puis le temps a passé, et ces vieux souvenirs allaient presque s’engloutir, lorsqu’hier soir Mc m’a dit. « Tu sais, le Goncourt, Alexis Jenni, je crois que c’est le fils de Jean Paul et Marie-Françoise ».

– Non, tu crois? Je suis allé vérifier sur internet et j’ai vu la photo d’Alexis Jenni. Aucun doute, c’est bien lui. A travers son visage illuminé, j’ai reconnu Jean-Paul et Marie Françoise. Tout m’est revenu en mémoire. Jean-Paul et ses moustaches, ses yeux pétillants de malice, sa gentillesse, son gout immodéré pour les idées, sa vieille 4 L, les après midi passé au lac de Saint Champ où on allait souvent se baigner. Marie-Françoise ses yeux bleus et ses cheveux blonds attachés en bataille. Les montagnes de livres qui l’entouraient.

Je me souviens combien Jean Paul avait était fier quand son fils a été reçu à l’agrégation. Il devrait encore être fier aujourd’hui. Son fils a eu le Goncourt ! Mais voilà : Jean-Paul n’est plus là. Il est mort brutalement à 52 ans. Il s’est couché un soir et ne s’est jamais réveillé.


3 commentaires »

  1. Chapouthier dit :

    Superbe et émouvant !

  2. Olga dit :

    C’est troublant de voir une facette de son enfance décrite sur Internet…
    Salutations à Jean-François

  3. marie-dominique daniel dit :

    J’ai connu Jean-Paul Jenni à Berlin où il faisait son service militaire au début des années 60. Mes parents étaient enseignants et Jean-Paul s’était lié d’amitié avec mon frère aîné. Il venait souvent chez nous et toute la famille était heureuse de l’accueillir. Sa gentillesse, sa culture, son charme ravissaient tout le monde.
    Il n’est plus, mon frère Marco non plus, tristesse !

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