Qu’allons nous devenir ?

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Le 21 novembre 2018 par Jean-François Dortier

Dans le dernier numéro de Sciences Humaines, « Humains, nos origines repensées, l’un des mes avatars Elise de Villeroy retrace trois scénarios pour l’évolution humaine: 1) apocalypse, 2) transhumanisme ou 3)  mutation ? A vous de choisir.

 

« Que seront devenus les humains dans cent ans ? Dans mille ans ? Dans un million d’années (1)? À ces questions vertigineuses, il n’existe qu’une seule réponse sérieuse : on n’en sait rien. Car les scénarios d’avenir ont un tous un point commun : ils se sont toujours trompés. Et quand bien même quelqu’un détiendrait aujourd’hui la bonne réponse, comment le savoir avant que le futur soit advenu ?

Tout essai d’anticipation est donc périlleux et très spéculatif, mais rien n’interdit de s’y livrer. L’exercice a la vertu de mettre à nu les schémas qui nous servent à penser l’histoire et l’évolution.

Commençons par trois scénarios, bien dans l’air du temps, tous très différents et radicalement opposés.

Apocalypse now ?

Le premier scénario est apocalyptique. L’avenir de l’homme ? Oubliez, c’est fini ! Car la fin du monde est annoncée. Le schéma est connu : du fait du réchauffement climatique, nous courons à grand pas vers une catastrophe écologique planétaire qui peut mettre fin non seulement à notre civilisation, mais qui menacerait même la survie de l’espèce humaine ! En septembre 2018, l’astrophysicien Aurélien Barreau a lancé un cri d’alarme largement relayé sur Internet : c’est la vie sur Terre qui est en jeu. Le scientifique (qui n’est pas climatologue mais spécialiste du Big Bang) ne donne pas vraiment d’arguments pour justifier ses propos alarmistes, mais on peut en trouver ailleurs, par exemple dans le livre d’Elizabeth Kolbert La 6e Extinction(2015). L’auteure rappelle que notre planète a déjà connu dans le passé cinq extinctions majeures dont la plus connue est celle survenue il y a 65 millions d’années et qui a provoqué la disparition des dinosaures, des nautiles et de millions d’autres espèces. Aujourd’hui, un phénomène similaire serait en train de se produire, causé par l’action de l’homme. L’effondrement du nombre d’abeilles et d’autres insectes (en Allemagne, 80 % des insectes ont disparu en trente ans), la disparition des massifs coralliens, la déforestation, l’acidification des océans menaceraient l’équilibre écologique fragile sur lequel repose la vie.

Resterait donc à imaginer non la réalité de l’effondrement mais sa date probable et éventuellement s’y préparer comme le font déjà certains survivalistes.

En route vers l’immortalité ?

Le deuxième scénario est l’inverse du précédent. Il prévoit l’avènement d’un « homme augmenté » et doté de superpouvoirs. On aura reconnu le scénario « transhumaniste ». Il repose sur une idée simple : les humains sont en train de prendre les commandes de l’évolution. Grâce aux pouvoirs de la technologie – celle des NBIC nanotechnologie, biotechnologie, intelligence artificielle et sciences cognitives –, une révolution anthropologique est en cours. Elle ouvre d’immenses espoirs en matière médicale : réalisation de prothèses, prolongement de la vie, etc. À terme la victoire contre la mort elle-même n’est pas un mythe, si l’on en croit Ray Kurtzeill, l’un des pères du transhumanisme. « Vaincre le vieillissement, accroître son intelligence, changer sa personnalité, abolir la souffrance et explorer l’univers », voilà autant de projets inscrits au programme de ce courant. Il est issu, ce n’est pas un hasard, des milieux high-techcaliforniens. Les dirigeants de Google, Elon Musk (fondateur de Tesla) ou encore Marc Zuckerberg financent ainsi de nombreux projets transhumanistes (dont la création de l’Université de la singularité lancée en 2008 par Ray Kurzweil) et se divise en plusieurs courants : transhumanisme centré sur le développement des pouvoirs personnels ; version cyborg envisageant une hybridation homme-machine, ou encore voix issue de la géoingénierie qui envisage de résoudre les problèmes climatiques par le recours à des techniques de refroidissement de la Terre.

Prospective ou science-fiction ? Ce scénario a pour lui une apparente évidence : grâce à la technique, les humains ont la capacité d’augmenter l’expérience de vie, d’éradiquer des fléaux et de maîtriser des énergies nouvelles.

Nous sommes des mutants

Le troisième scénario est celui du mutant. Il s’appuie sur des évolutions récentes, parfois inquiétantes et déjà inscrites dans notre physiologie. Contrairement à une idée reçue, l’anthropologie biologique ne prévoit pas que l’homme de demain sera doté d’un cerveau plus gros que le nôtre : sa taille a au contraire tendance à diminuer depuis l’époque de Cro-Magnon ! Et, à l’encontre d’une autre tendance séculaire, le niveau de QI aussi est en baisse générale depuis quelques années (2). Si la taille des humains a fortement augmenté depuis un demi-siècle (9 cm en moyenne), on ne peut imaginer que nos descendants feront 2 m 50, car il y a des limites physiques à cette augmentation. De fait, l’augmentation de taille commence partout à stagner dans les pays développés (3).

Certaines des modifications en cours inquiètent les spécialistes (4). Ainsi, à l’échelle de la planète, la proportion d’obèses a explosé en trente ans. Autre tendance notable : une puberté plus précoce chez les filles et une chute de la fertilité masculine. La concentration de spermatozoïdes a chuté de 40 % en un demi-siècle. À quoi ces transformations sont-elles dues ? On suspecte bien sûr l’alimentation et les effets des perturbateurs endocriniens.

Apocalypse, surhomme ou mutant ? Il est probable qu’aucune de ces prédictions ne va vraiment se réaliser. Plus probablement, il faudrait intégrer dans toute prospective une pluralité de possibles.

Peut-on vraiment prévoir l’avenir ? 

Ainsi, tous les scientifiques ne partagent pas le scénario cataclysmique de la sixième extinction (5) : les prédictions transhumanistes semblent pour leur part s’appuyer sur des évidences, mais les prédictions les plus extrêmes sur les pouvoirs de la génétique ou de l’IA ne sont pas prises au sérieux par les spécialistes du sujet (6). Quant aux mutations en cours de notre physiologie, elles sont assez contradictoires, et très dépendantes des milieux sociaux et des régions du monde pour être difficilement transposables à l’espèce humaine tout entière. Il est peu probable que nos petits-enfants soient tous des prépubères, obèses, allergiques et aux capacités intellectuelles diminuées.

Surtout, l’avenir nous réservera à coup sûr des surprises, comme ce fut toujours le cas. Finalement, les scénarios actuels sur l’avenir de l’espèce restent un bon révélateur des forces et limites de l’intelligence humaine. Sa force : son extraordinaire capacité à se projeter dans l’avenir. Ses limites : la tendance à se tromper systématiquement dans ses anticipations.

Notes : 

1. Jean-Marie Tarascon et al., « Comment l’homme va évoluer ? » La Recherche, n° 536, juin 2018.
2. Voir Nicolas Journet, « QI, une baisse annoncée ? », Sciences Humaines, n° 300, février 2018.
3. Adrien Marck, « Are we reaching the limits of Homo sapiens ? », Frontiers in Physiology., 24 October 2017.
4. Jean-François BouvetMutants. À quoi ressemblerons-nous demain ?, Flammarion, 2014.
5. Olivier Postel-Vinay, « Le bluff de la sixième extinction », Libération, 1er septembre 2015.
6. Voir Danièle Tritsch et Jean Mariani, Ça va pas la tête ! Cerveau, immortalité et intelligence artificielle, l’imposture du transhumanime, Belin, 2018, Jacques Testart et Agnès RousseauxAu péril de l’humain. Les promesses suicidaires des transhumanistes, 2018, et Jean-Gabriel GansaciaLe Mythe de la singularité. Faut-il craindre l’intelligence artificielle ?, Seuil, 2017.


2 commentaires »

  1. Chapouthier dit :

    Malheureusement, aucun des scénarios n’est vraiment attractif ! Goûtons l’instant !

  2. mumen dit :

    En dehors des catastrophes, à cause de leur imminence, c’est l’esprit des hommes qui va changer de direction. Une mutation, oui, mais paradigmatique et non physiologique.

    Le nihilisme contemporain n’a rien d’un paradigme pérenne pour l’humanité et pourtant il la gouverne : décider pour tout le monde ce qui est ou n’est pas réel n’efface pas les faits. Le nihilisme est un rempart savamment bricolé contre la peur de l’irrationnel perçu comme le « mal ». C’est une forme religieuse profondément ancrée dans la philosophie et toute la science, d’autant plus puissante qu’elle n’est pas une religion qui puisse s’avouer.

    Le nihilisme a fait son temps. Il est diagnostiqué de nombreuses fois, avec ou sans Nietzsche. Il va nécessairement s’estomper parce qu’il est éminemment destructeur et contre-productif. Le penseur va retrouver le « droit », la légitimité de s’occuper au grand jour de choses importantes de l’existence. Il lui faudra les sortir de la poubelle où la science les a placées par étroitesse de vue dans une ambiance plutôt dictatoriale.

    On n’attend que la charge qui reconduira la religion des sciences à ce qu’elle a de purement idéologique et instrumentale. Et on passera à autre chose !

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