Violence : la brutalisation des individus

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Le 11 février 2016 par Jean-François Dortier

 

0831-cover-redeployment-543e401b80fe8« On a tiré sur des chiens. Pas par accident. De façon délibérée. On avait appelé ça opération Scooby. Moi, je fais partie des gens qui aiment les chiens, alors, forcément, ça m’a fait gamberger. » Ainsi commence Fin de mission (1), le récit de guerre rédigé par Phil Klay, vétéran des marines qui a servi dans la seconde guerre d’Irak. La guerre conduit à des situations extrêmes. Elle peut transformer un gars ordinaire, qui buvait des bières sur son canapé en caressant son labrador dans une petite banlieue américaine, à faire des choses démentielles, comme tuer des chiens qui viennent lécher les cadavres sur une zone de combat.

Combien de temps faut-il pour qu’une société pacifiée, civilisée, bascule dans la barbarie ?  Le temps de la déclaration de guerre et des premiers combats suffit, avait répondu l’historien George Mosse dans son livre, La Brutalisation des sociétés européennes. De la Grande Guerre au totalitarisme (2). S’appuyant sur l’exemple de la Première Guerre, mondiale, l’historien soutenait que l’expérience de guerre suffit à transformer d’honnêtes citoyens, paysans, ouvriers ou fonctionnaires, en soldat endurcis. La brutalisation des esprits s’effectue en peu de temps au contact de la violence : quand les armes commencent à parler, que les frères d’armes commencent à tomber autour de soi. Alors l’instinct de survie, la soif de vengeance, l’esprit de corps, le sens du devoir, le tout aiguillonné par de grandes valeurs (« la patrie » ou la liberté »),  s’associent pour conduire un individu ordinaire à une brutalité extrême, dont il se serait cru incapable quelques semaines auparavant.

 

La brutalisation : une dynamique de la violence

Il est courant de confronter, dans le grand débat sur les origines de la violence, une nature humaine (l’agressivité animale, la pulsion de mort, la testostérone etc.) et la « culture » (entendez par là l’éducation, les valeurs, les habitudes, les médias, etc.). La brutalisation des sociétés donne une autre clé d’interprétation : la dynamique de la violence elle-même.

Si la violence était dans la nature humaine, le monde serait en permanence à feu et à sang, et nous serions en permanence assoiffés de sang. Ce qui est loin d’être le cas. La démonstration est simple : songez au nombre de fois où vous vous êtes vous battus dans votre vie ; comparez au nombre de fois où avez vous fait l’amour… C’est évident : l’amour est bien dans la nature humaine, pas la guerre.

Mais si la violence n’était qu’une question de culture, comment comprendre que des individus élevés dans un monde pacifique basculent aussi vite dans la violence ? Comment expliquer que les nations européennes de la Belle Époque aient plongé aussi vite dans la barbarie. Inversement, comment expliquer que les peuples allemands ou japonais se soient aussi vite pacifiés après la Seconde Guerre mondiale ? Comment expliquer que la Syrie ait sombré si rapidement en enfer ?

La dynamique de la brutalisation nous oriente vers cette autre piste : celle des engrenages qui entraînent les uns ou les autres à commettre le pire, celle des circonstances et raisons qui ont poussé Phil Ray, honnête et paisible citoyen américain, à tuer des hommes et des chiens.

La longue histoire de la violence n’est sans doute pas celle d’une pacification générale des mœurs, ni celle d’une violence éternelle. L’existence de multiples poches de violence au sein d’un monde globalement pacifique nous invite à essayer de comprendre comment on peut basculer dans l’horreur. Et comment en sortir.

 

(1) éd.Gallmeister

(2) Hachette, 2000.

Note:   ce billet est une reprise de l’éditorial du dernier numéro de sciences humaines. Violence, 15 questions pour comprendre. Sur la version papier, l’éditorial a été malencontreusement amputé de la fin, suite à une erreur de manipulation. Le billet ci-dessus est la version complète.

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